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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Projet de Loi portant sur la réforme des retraites

séance publique le 19 octobre 2010

Procédure accélérée –  Article 31, 32 et 32bis C

Mes chers collègues, M. Longuet veut raccrocher le débat de fond que nous avons à notre histoire, qu’il a en quelque sorte revisitée. Certes, les idées conservatrices et réactionnaires vis-à-vis des femmes ont, durant le XXe siècle, été largement partagées par l’ensemble des couches de la société, y compris par les différentes familles idéologiques. Il faut dire qu’elles remontaient de loin !

Mais, durant le même temps, grâce notamment aux travailleurs, une famille politique s’est toujours battue pour que les femmes puissent avoir les moyens de leur autonomie, tandis qu’une autre a toujours considéré qu’elles devaient avant tout faire des enfants et s’occuper d’eux. (Vives protestations sur les travées de l’UMP.) Chers collègues de l’opposition, c’est pourtant la réalité !

L’article 31 fait ressortir ce clivage. Vous avez reconnu, monsieur le ministre, qu’il existait une injustice dans votre projet de loi initial, et vous avez souhaité la corriger en faisant une proposition pour les mères de trois enfants.

Mais, si vous estimiez qu’il y avait une injustice générale, vous n’auriez pas fait une proposition si ciblée ! Vous auriez vu que l’injustice qui touche les femmes tient aussi aux carrières fractionnées, à la mutation sociétale évoquée par Christiane Demontès, ou au fait que les familles monoparentales sont majoritairement composées de femmes seules et de leurs enfants à charge. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Il est inutile de contester les évidences ! En tout cas, si les Françaises nous regardent, elles savent bien, elles, de quelle façon elles vivent et travaillent et comment elles sont considérées !

Alors je veux juste dire une chose : c’est que toutes ces injustices – difficultés de mener une carrière, périodes d’interruption de travail, différence de salaires, pénibilité –doivent être compensées.

Quand la femme travaille, ce qui est maintenant largement accepté, son salaire doit-il être considéré comme un revenu d’appoint ou comme le moyen de lui permettre d’être libre et autonome ?

La retraite d’une femme doit-elle être une simple retraite d’appoint ? J’ai entendu sur les travées de la majorité qu’il ne fallait pas exagérer la situation de ces femmes, car elles peuvent bénéficier, par ailleurs, d’une pension de réversion. (Mme Bernadette Dupont s’exclame.) Doivent-elles se contenter des malheureux 800 euros dont elles pourront bénéficier à 65 ans et, maintenant, à 67 ans ?

Oui, monsieur le ministre, il y a des injustices, mais votre mesure, en ne ciblant que les mères de trois enfants – tant mieux pour elles ! – ne vise qu’à faire du tintamarre sur votre façon de défendre la famille face à la gauche. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Tout cela, ce n’est finalement que de l’idéologie. (Brouhaha sur les mêmes travées.) Chers collègues de la majorité, vous savez faire du brouhaha, mais on vous entend peu sur le fond !

Nous continuons de débattre, mais vous voyez bien le décalage. Sept Français sur dix considèrent que votre réforme n’est pas bonne, et il y a encore des millions de manifestants dans la rue.

Dans toutes les autres démocraties – sans même parler des démocraties avancées ! –, après six semaines de mouvements soutenus, des négociations auraient déjà été ouvertes. Vous portez la lourde responsabilité de ne pas proposer un dialogue !

L’emploi des seniors, qui est l’objet de cet article, est un vrai sujet de société, tout comme l’égalité hommes-femmes, dont on vient de parler, ou la retraite à 60 ans.

Tous l’ont souligné, il est absolument inadmissible que, dans un pays comme la France, un senior sur deux se retrouve exclu de l’activité professionnelle passé 55 ans.

Monsieur le ministre, repousser à 62 ans l’âge de départ à la retraite, indépendamment même des mesures que vous croyez prendre en leur faveur, aggravera fortement la situation des seniors dans les dix prochaines années, et ils le savent.

Aujourd’hui, un salarié qui se retrouve exclu de l’activité à 58 ans a droit à des indemnités en rapport avec une fin de vie professionnelle, puis, à 60 ans, après avoir trimé toute sa vie, il peut toucher sa retraite.

Avec votre texte, celui qui a été jeté de son entreprise – c’est la première humiliation ! – touchera des indemnités chômage, payées par l’État, je le souligne, puis se retrouvera en fin de droits. Hormis le fait que vous allez transférer la charge financière sur une autre caisse sociale, vous obligerez certaines personnes à tomber dans le RSA, alors qu’elles n’auront souvent jamais vécu d’autre chose que de leur travail, sans aucune assistance. C’est la deuxième humiliation que vous leur infligez.

Voilà ce que vont vivre massivement les seniors !

Comme vous avez fini par vous rendre compte de la situation, vous avez présenté un article pour faire semblant de penser à eux et tenter de soutenir leur emploi.

Or votre dispositif ne provoquera que des effets d’aubaine. En effet, un système de bonus comme celui que vous mettez en place n’est équitable que s’il existe un système de malus, c’est-à-dire s’il s’accompagne de sanctions. Or vous ne prodiguez que des pseudo-encouragements pour garder les seniors. Les entreprises qui s’en débarrasseront ne perdront donc rien !

Si vous nous aviez présenté une vraie loi sociale, vous auriez pu nous fournir des estimations afin d’alimenter le débat. Par exemple, vous auriez pu nous dire combien de seniors resteront dans l’emploi grâce à votre mesure.

Mais vous vous en gardez bien, car vous savez qu’une grande majorité d’entreprises préfèrent se séparer des seniors et les mettre à la charge de l’assurance chômage, plutôt que d’être obligées de payer des charges fixes pour un salarié exigeant. Car les seniors, on ne peut pas les traiter n’importe comment !

Bien entendu, le problème de l’emploi des seniors dans notre pays est lié au problème de l’emploi en général.

On connaît les exigences de productivité et de malléabilité liées au monde du travail. On a vu ce qui s’est passé à France Télécom. Il est possible de balancer à l’autre bout de la France du jour au lendemain un salarié jeune en se disant qu’à son âge, ce n’est pas grave, il va faire sa vie.

Mais avec les seniors, on sait qu’on ne peut pas faire n’importe quoi : il faut leur montrer un peu plus de respect. C’est la raison essentielle pour laquelle les entreprises s’en séparent tôt. (C’est fini ! sur les travées de l’UMP.)

Si vous n’apportez pas de vraies réponses à ces sujets, qui ne touchent pas seulement à la question de la retraite, vous serez à côté de la plaque. (Huées sur les travées de l’UMP.)

Comme pour la question des femmes, celle de la retraite à 60 ans, vous bradez un droit essentiel. (Brouhaha. – Les sénateurs de l’UMP martèlent leur pupitre.)

En faisant passer la retraite à 62 ans et à 67 ans, vous faites régresser les lois sociales.

M. Woerth nous dit que nous voyons loin, mais là est tout l’enjeu de la discussion ! Au début du débat sur les retraites, vous avez expliqué qu’il était important d’aller vite et que nous devions pouvoir regarder nos enfants dans les yeux en leur assurant un système de retraite pérenne. Cette entrée en matière vous permet de tout justifier.

Or, vous le savez, votre réforme ne pérennise le système de retraite que jusqu’en 2012, 2014, voire, comme vous le prétendez, 2018 ! Ce n’est donc pas du tout la réforme systémique que vous annonciez, d’autant qu’il y a déjà une clause de rendez-vous en 2014.

Vous « insécurisez » le système avec une réforme purement conjoncturelle, qui ne vise qu’à colmater une brèche. Lorsque l’on interroge les jeunes générations, on se rend compte qu’elles n’ont aucune garantie quant à l’avenir du système de retraite par répartition, ce qui les encourage à se doter d’une retraite propre. D’ailleurs, je ne sais pas si la retraite par répartition existera encore pour ceux qui entrent aujourd’hui dans la vie active, la réforme n’allant pas plus loin que 2012.

Avec l’allongement de la durée de cotisation et le faible taux d’emploi des seniors, le niveau des pensions, qui a déjà diminué de 25 % depuis 2002, continuera automatiquement de baisser. Les pensions qu’ils touchent actuellement ne permettent déjà pas aux retraités de vivre décemment, mais la situation va se dégrader brutalement. La grande pauvreté est devant nous, et de plus en plus de retraités vivront avec le minimum vital, voire sous le seuil de pauvreté défini par la Communauté économique européenne, c’est-à-dire 880 euros.

Telles sont les deux perspectives. Donc, ne nous dites pas que nous voyons loin ! Nous sommes bien obligés de regarder ce qui se passera après, car votre réforme repose sur une logique politique d’insécurisation qui va naturellement conduire les Français à rechercher les moyens de s’assurer une retraite décente. Aussi, lorsque nous voyons apparaître à la fin du projet de loi cet article, nous y regardons à deux fois et nous ne pouvons que constater qu’il ouvre une porte. C’est parfois dans le détail…

Je n’irai pas jusque-là, pour ne pas risquer de diaboliser le Gouvernement, énerver le ministre et provoquer un brouhaha général sur les travées de la majorité. Je garde donc dans un langage qui permette à chacun de garder son calme. (Sourires.) Non, je préfère parler de projet caché, qui serait ainsi révélé.

Enfin, j’ai interrogé le Gouvernement, mais je n’ai obtenu, jusqu’à présent, qu’une explication confuse – peut-être M. Tron me répondra-t-il ? –, sur les 15 milliards d’euros qui manquent au financement de votre réforme après 2012, une fois que le Fonds de réserve pour les retraites aura été vidé.

Non seulement votre réforme est injuste, mais elle est inefficace. Ces 15 milliards d’euros, ce sont des contributions de l’État, donc du déficit. Alors, vous voulez faire la réforme vite, n’importe comment, sans négocier, parce que le système coule, et vous ne faites en réalité que transférer du déficit. Mais votre réforme n’est qu’un habillage pour faire payer toujours les mêmes, les salariés.