Le Monde.fr |  | Propos recueillis par Alexandre Piquard

Faut-il étendre la redevance télé aux nouveaux écrans, ordinateurs et tablettes ? La question n’est pas nouvelle, mais elle refait surface : c’est une des pistes centrales de réflexion du groupe de travail sur le financement de l’audiovisuel public qui s’est réuni pour la première fois jeudi 13 juin. Alors que le groupe France Télévisions est confronté à des difficultés budgétaires, ce dossier a été confié à des parlementaires de la majorité et des représentants de Matignon et des ministères de la culture et du budget. Leur horizon : proposer des mesures à l’automne, pour la loi de finances 2014.

Considérée comme sensible politiquement, la mise en place de l’extension de la redevance aux ordinateurs a déjà été repoussée par la droite, mais aussi par la gauche, en 2012. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault lui avait alors préféré une augmentation du prix de la redevance. Mais le débat continue et l’audiovisuel public français risque en outre de perdre encore des ressources si, le 27 juin, l’Union européenne confirme l’annulation de la « taxe Copé » créée en compensation de la suppression de la publicité après 20 heures.

Que faire ? La ministre de la culture, Aurélie Filippetti, ne dit rien pour l’heure, mais voit d’un bon œil l’extension de la redevance aux nouveaux écrans. D’autres envisagent de l’appliquer aux résidences secondaires, une autre idée écartée en 2012. D’autres, d’augmenter un peu son montant chaque année. D’autres encore, de rétablir partiellement la publicité après 20 heures. D’autres, enfin, de ne rienfaire ou de réduire le périmètre de l’audiovisuel public…

David Assouline, sénateur et porte-parole du PS, est membre du groupe de travail et défend sa conviction : faire payer la redevance « quand il y a un capteur permettant de recevoir l’audiovisuel public ». Une façon de réparer selon lui « les dégâts » des réformes de Nicolas Sarkozy.

Que préconisez-vous pour la redevance télé ?

David Assouline : Il faut que cette contribution reste le pilier central du financement de l’indépendance de l’audiovisuel public. Et aujourd’hui, à mon avis, cela signifie de la rendre plus claire, lisible et moderne. Donc de ne plus l’asseoiruniquement sur les téléviseurs, mais sur la capacité dans chaque foyer de capterl’audiovisuel public. On paierait donc la redevance quand il y a un capteur permettant de recevoir l’audiovisuel public : ordinateur, tablette [on ne paierait qu’une fois, même si on a plusieurs écrans]…

A contrario, si cette contribution reste assise sur les seuls téléviseurs, de plus en plus de foyers pourront ne pas contribuer, ce qui créera une inégalité. Et rendra à terme la contribution caduque.

Aurélie Filippetti, quand elle avait proposé cette extension aux ordinateurs à l’été 2012, s’était vue désavouer par Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget : pourquoi faire revenir cette idée ?

Chaque chose en son temps : il y a une réflexion globale pour compenser les effets catastrophiques de la réforme Sarkozy, qui a attaqué le service public audiovisuel, politiquement et financièrement. Tout reposait sur un double financement – par la redevance et par la publicité – qui rendait l’audiovisuel public indépendant. Après lui avoir enlevé la publicité, l’Etat a compensé par une promesse de dotation publique, mais on savait que quand les caisses publiques se videraient, cette dotation pourrait chaque année être remise en question.

Aujourd’hui, c’est pour faire face à ces dégâts qu’il faut trouver une ressource pérenne, cohérente, qui a du sens. Or, on voit l’enjeu démocratique de ce dossier quand on regarde ce qui se passe en Grèce.

Etendre la redevance télé aux nouveaux écrans, est-ce compatible avec la taxe sur les mêmes appareils connectés, proposée dans son rapport parPierre Lescure ?

Oui, les deux n’ont rien à voir. Dans un cas, la taxe se paye à l’achat, une seule fois : le constructeur est taxé, avec un taux quasi indolore pour des appareils qui coûtent plusieurs centaines d’euros. Ce qui est alors mis à contribution, c’est la capacité à échanger des produits de la création culturelle. C’est ce que vise le rapport Lescure.

De l’autre côté, avec la contribution modernisée, on est dans le même esprit que la contribution actuelle sur le téléviseur. C’est un actionnariat populaire qui donne droit à l’audiovisuel public. Or, regarder la télévision sur un nouvel écran était une pratique marginale mais elle l’est de moins en moins.

Certains proposent plutôt d’étendre la contribution aux résidences secondaires : y êtes-vous favorable ?

Rappelons que la contribution pour les résidences secondaires existait, elle a été annulée par la droite. Sur le principe, la rétablir serait une mesure de justicesociale : elle ne toucherait pas toute la population et son montant serait égal à la moitié de celui payé pour la résidence principale.

Dans mon esprit, rétablir la contribution sur les résidences secondaires est une possibilité, si le 27 juin la condamnation de la France était confirmée en appel par la justice européenne : l’annulation de la « taxe Copé » sur les opérateurs télécoms et les fournisseurs d’accès Internet créerait un manque à gagner supplémentaire de 200 millions d’euros pour l’audiovisuel public.

Pourquoi refuser à France Télévisions le rétablissement de quelques coupures de publicité entre 20 et 21 heures ?

Il y a eu un moment où on pouvait être favorable à cette proposition, car on pouvait espérer que ce qui avait été défait par le pouvoir précédent pouvait être rétabli. Mais le marché de la publicité a évolué à la baisse. Si l’on accordait à France Télévisions de nouveaux écrans de publicité, cela casserait le prix de l’écran pour toutes les chaînes.

Je suis un fervent défenseur du service public, mais l’apport des chaînes à l’ensemble de la création audiovisuelle, qu’elles financent, ne doit pas être déstabilisé. Et pour France Télévisions, l’apport financier ne serait de toute façon pas à la hauteur des besoins.

Alexandre Piquard