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David Assouline intervient en séance au Sénat le 10/10/2010

« Débat sur la communication audiovisuelle et le nouveau service public de télévision »

SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Débat sur l’application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision
séance publique le 10 mai 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat de contrôle arrive à point. Il aurait pu être utile s’il s’agissait d’un vrai débat, suivi de recommandations et de décisions, y compris pour prendre en compte, au regard de l’application de la loi, des inflexions nécessaires à la sauvegarde du service public de l’audiovisuel et à la défense de son indépendance. S’il s’agissait d’un tel débat, assorti d’un enjeu, sans doute serions-nous plus nombreux dans cet hémicycle, même un lundi…

On en arrive à galvauder une très belle idée, celle du contrôle parlementaire, et même à miner, à force de contradictions, notre foi en cette démarche.

Pour que nous puissions exercer le contrôle parlementaire, tel qu’il existe notamment dans les démocraties anglo-saxonnes, il faut que l’on nous donne les moyens de fonder un jugement. En outre, un débat de cette nature doit déboucher sur des décisions visant par exemple à remédier à des effets pervers imprévus de l’application de la loi considérée – quand elle est appliquée, puisque l’on sait que près d’une loi sur deux ne l’est pas.

Or, lors du premier débat de contrôle organisé au Sénat, portant sur l’application de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, qui tendait à modifier en profondeur le fonctionnement de ces dernières, il est apparu que les choses étaient d’emblée mal engagées : j’avais préparé des questions très précises pour faire le point, mais la ministre s’est bornée à nous donner lecture d’un texte préparé à l’avance, qui ne répondait à aucune de nos interrogations et se résumait à une défense et illustration de sa réforme. Voilà qui ne contribue pas à conforter l’image de la démocratie parlementaire aux yeux de nos concitoyens…

Par ailleurs, en commission des affaires culturelles, M. Ralite, après avoir dressé le bilan de l’application de la loi qui nous intéresse aujourd’hui, a présenté une proposition de loi visant à en infléchir les dispositions. Son examen par le Sénat aurait pu déboucher sur des mesures concrètes, mais la commission a objecté à notre collègue qu’elle ne disposait pas des éléments d’évaluation nécessaires à un tel débat et qu’il convenait d’attendre les conclusions de la mission confiée à Mme Morin-Desailly, devant s’achever en juin.

Or, cet après-midi, en séance publique, le groupe auquel appartient à Mme Morin-Desailly prône une évaluation qu’il jugeait encore impossible la semaine dernière, lorsqu’il s’agissait de se pencher sur la proposition de loi de M. Ralite. Un tel degré de contradiction ne fait pas honneur à notre travail et ne contribue pas à lui donner sens.

Toutefois, comme nous sommes des parlementaires sérieux, nous jouons le jeu, et c’est pourquoi je m’exprime devant vous aujourd’hui. Il y a déjà des choses à dire en attendant que nous soient remis des éléments d’évaluation plus précis, sachant que nous partageons largement le diagnostic posé par nos collègues de l’Union centriste. J’espère que nous pourrons alors prendre des décisions de portée concrète, comme cela doit être si notre travail a bien pour seul objet, comme chacun l’affirme, de garantir la qualité des programmes dans le cadre d’un service public de l’audiovisuel renforcé. Nous ne pouvons pas continuer à foncer dans le mur ! Quand, à l’évidence, les choses ne se passent pas comme prévu, il est à l’honneur d’un ministre de le reconnaître et de rectifier le dispositif. Il s’agit non pas de faire des concessions à l’opposition, mais d’être au service de nos concitoyens.

Rappelons-nous le débat que nous avons eu il y a un an.

Sur le plan idéologique, entendre le Président de la République affirmer qu’il fallait mettre un terme à la dictature de l’audimat et permettre au service public de l’audiovisuel de s’émanciper, afin qu’il puisse déployer librement toutes ses capacités de créer des programmes de qualité, nous avait fait sourire. Historiquement, la gauche partage totalement cette ambition.

Dans cette perspective, une première option consistait à s’orienter vers un financement du service public de l’audiovisuel par la seule redevance. Celle-ci ne relève pas du budget de l’État, du bon vouloir du pouvoir politique, variable selon la conjoncture ; il s’agit d’une sorte d’actionnariat populaire. Le téléspectateur paie pour accéder à un service public, auquel est directement affecté le produit de la taxe. La loi Tasca nous menait progressivement dans cette voie, sans brutalité, pour nous rapprocher non pas d’un objectif irréaliste, mais tout simplement de ce qui se pratique en Grande-Bretagne, en Allemagne dans d’autres grandes démocraties.

Une seconde option, qui prévalait jusqu’à présent, consistait à financer le service public de l’audiovisuel conjointement par des recettes publicitaires et par la redevance, l’existence de celle-ci empêchant la dictature de l’audimat et assurant l’indépendance du service public.

Il est faux de prétendre que c’est depuis la réforme que France Télévisions diffuse des programmes de qualité, propose des pièces de théâtre à des heures de grande écoute : voilà vingt ans que le service public s’est engagé dans une conquête progressive de l’audience, en imposant sa marque de fabrique dans le paysage audiovisuel. J’apprécie que cette tendance se poursuive aujourd’hui, mais il n’y a pas eu de rupture qualitative. Les réformes mises en œuvre par M. Tessier allaient dans ce sens, comme nous l’indiquait l’an dernier M. Dominique Wolton. Il convient maintenant de les consolider et d’aller plus loin.

Personne, dans le pays, ne se laisse tromper par ce débat à front renversé qui voit M. Sarkozy se poser en défenseur du service public contre la pression du mercantilisme, même si je veux bien croire à la sincérité des sénateurs UMP de la commission de la culture, parce qu’ils ont toujours défendu à nos côtés – c’était un îlot de convergence dans le monde politique – l’idée que la redevance devait être la source du financement du service public, pour éviter la mainmise tant de la publicité que de l’État.

Je réaffirme ma conviction sur cette question : dire aujourd’hui que le budget de l’État doit financer l’audiovisuel public revient dans les faits à placer celui-ci sous tutelle politique. Même sans nomination du président de France Télévisions par le chef de l’État, la tutelle financière de l’État soumet cet établissement au pouvoir politique, quelle que soit sa couleur. Je le dis tranquillement, car notre position ne changera pas, même si l’élection présidentielle de 2012 modifie la donne politique en notre faveur. C’est une question de principes !

Après une année d’application de la loi, apparaît-il que nos craintes étaient infondées ? Le financement de l’audiovisuel public ne saurait être pérenne dans ce cadre, disions-nous, parce que nul ne peut savoir quelles seraient les priorités du pouvoir dans un climat de crise des finances publiques. Nous y sommes ! Je vous invitais alors, mes chers collègues, à envisager un scénario futuriste. Imaginez que les caisses de l’État soient encore plus vides qu’elles ne le sont actuellement, et que le pouvoir politique, qui déjà ne remplace plus un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, soit amené à tailler dans toutes les dépenses sociales et à réduire les services publics pour essayer de limiter la dette : comment pourrait-il, dans ces conditions, justifier l’affectation de 450 millions d’euros de crédits budgétaires au service public de l’audiovisuel, alors que celui-ci aurait pu être financé par la publicité ou par une faible augmentation de la redevance ? Il préférera plutôt réduire les dépenses en vendant une ou deux chaînes : ce sera le début de la privatisation !

Ce scénario, que j’avais évoqué ici lors de la discussion de la loi qui nous occupe, risque, me semble-t-il, de se révéler très rapidement prémonitoire, parce que les caisses de l’État sont totalement vides. M. Maurey a fort opportunément rappelé certains chiffres à cet égard, montrant comment le trou s’était considérablement creusé sous ce gouvernement de droite, à cause d’une mauvaise gestion. Mais tel n’est pas mon propos aujourd’hui.

Par ailleurs, nous avions également exprimé des doutes sur les deux taxes mises en œuvre pour compenser la suppression de la publicité.

Tout d’abord, si l’instauration d’une taxe sur les recettes publicitaires du privé – le taux devait initialement être de 3 % pour les chaînes historiques – pouvait se justifier, tout en posant un problème sur le plan constitutionnel, cette mesure n’a pas produit tous les effets escomptés. Certes, il y a eu un transfert de la publicité vers les chaînes privées, mais pas seulement vers TF1, qui, au lieu de miser sur la TNT, s’est contentée de jouir de sa rente, et M6 : les chaînes de la TNT en ont également eu leur part, contrairement à ce que l’on a pu observer en Espagne. De plus, le contexte économique a entraîné une dégradation du marché publicitaire, de sorte qu’une réduction du taux de la taxe a été décidée en loi de finances. En définitive, le produit est donc inférieur à ce qui était initialement prévu.

Un autre manque à gagner prévisible – arrêtons de nous cacher la tête dans le sable ! – tient au fait que la taxe sur les opérateurs de communication est attaquée par la Commission européenne. Nous l’avions annoncé ici, mais vous nous assuriez alors, monsieur le ministre, qu’une telle procédure n’avait pas de réelle justification au fond. Or les sanctions vont bientôt tomber, car cette taxe est contraire aux directives européennes, et le fait que son produit soit directement perçu par l’État avant d’être rétrocédé au service public de l’audiovisuel n’y change rien. Par conséquent, voilà encore 300 millions d’euros de recettes perdues, et il faudra de surcroît rembourser les sommes perçues les années précédentes si la France est sanctionnée.

Cela fait beaucoup, et M. Maurey, malgré ses critiques, ne pousse pas jusqu’au bout la logique de son raisonnement. Il est vrai que son groupe a pour habitude de voter tout ce que le Gouvernement propose… Vous vous êtes enfermés dans une contradiction en votant la réforme tout en critiquant radicalement son financement. En effet, il s’agissait avant tout d’une réforme du financement ! La question du financement est le nœud de l’indépendance du service public ! Sans moyens suffisants pour sa rénovation, il n’y a pas de service public fort.

À cet égard, je rappelle que la commission Copé, à laquelle j’ai participé, comme Mme Morin-Desailly, avait été unanime pour évaluer à 200 millions d’euros par an les investissements nécessaires pour le média global. Or je n’ai parlé jusqu’à présent que des besoins de financement pour le fonctionnement ! Tandis que ces derniers ne sont pas suffisamment couverts, les investissements d’avenir ne sont pas prévus du tout ! J’ai même été très déçu de constater que, dans la dernière loi de finances, on a amputé de 37 millions d’euros les crédits destinés au service public de l’audiovisuel, qui a reçu 413 millions d’euros au lieu des 450 millions prévus, au motif que les recettes de la régie publicitaire ont été plus fortes qu’initialement envisagé. Outre qu’il est choquant que dès la première année les engagements ne soient pas tenus, il aurait été de bonne politique d’affecter aux provisions pour investissement le surplus de recettes, d’ailleurs bien modeste au regard des besoins.

Cela donne la mesure du crédit que l’on peut accorder aux grandes phrases sur le média global, la réforme pour l’avenir qui permettra au service public d’être à la pointe de la modernité ! Si l’on considère que la modernisation consiste uniquement en des restructurations destinées à limiter le coût des programmes et les dépenses de personnel, on fait une erreur de perspective et on affaiblit le service public, car une évolution vers le média global commence par coûter ! Je trouve donc étrange, monsieur Maurey, que vous ayez pu porter tout à l’heure un jugement positif sur la réforme tout en en critiquant radicalement l’aspect financier. En effet, comme je l’ai déjà souligné, la question du financement est cruciale pour l’indépendance et l’avenir du service public de l’audiovisuel.

Alors, que faire ?

Monsieur le ministre, puisque l’on en arrive au constat que les deux recettes qui devaient servir au financement de l’audiovisuel public ne sont pas au rendez-vous – l’une est presque totalement absente, l’autre inférieure au niveau prévu – et que, par ailleurs, les caisses de l’État sont on ne peut plus vides, ne serait-il pas possible, aujourd’hui, d’en prendre acte, en sortant du combat rituel entre majorité et opposition, et de reconsidérer la suppression totale de la publicité après 2011 ? Vous n’auriez même pas à vous déjuger, puisque vous n’étiez pas en fonctions lorsque la loi a été votée.

Selon vous, la réforme a pour vocation essentielle de permettre que des programmes de qualité puissent être diffusés en prime time, c’est-à-dire après 20 heures, en refusant la dictature de l’audimat. Soit ! Ne revenons pas sur la suppression de la publicité après cette heure, mais ne généralisons pas cette mesure, car les 430 millions d’euros de recettes engrangés par la régie publicitaire ont représenté un véritable ballon d’oxygène pour le service public. L’État ne pourra lui apporter un tel concours de façon pérenne dans l’avenir.

Dans ces conditions, je vous exhorte à laisser France Télévisions diffuser de la publicité avant 20 heures et à ne pas privatiser la régie publicitaire, qui est un joyau du service public. Elle lui a fourni cette année les ressources nécessaires pour boucler un exercice budgétaire difficile. Je n’évoquerai même pas la proximité du pouvoir de certains candidats supposés à la reprise de cette régie, ni la nécessité d’éviter les conflits d’intérêts, sur laquelle vous avez vous-même insisté. Il s’agit à mes yeux d’une question de principe : un tel savoir-faire doit être gardé dans le patrimoine public, d’autant qu’il profite à l’ensemble du maillage du service public, en particulier dans les régions. C’est un outil irremplaçable !

Sortons des clivages habituels. M. Copé en personne –mais il exprimait la position unanime de la commission qu’il présidait – avait souligné que si deux étapes avaient été prévues, c’était précisément pour se donner le temps d’étudier s’il serait souhaitable, après 2011, de passer à la suppression totale de la publicité. Nous voici maintenant parvenus au moment de la décision ! J’implore le Gouvernement et l’ensemble de mes collègues de ne pas laisser ce débat filer.

Je voudrais enfin évoquer un autre aspect du texte, brièvement car nous pourrons en débattre à loisir lors de l’examen prochain de la proposition de loi de M. Ralite visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision ainsi que, peu après, à l’occasion d’une séance de questions cribles sur le thème « pouvoir et médias » : la nomination par le Président de la République du président de France Télévisions.

Comment cela va-t-il se passer ?

Si le Président de la République procède à la hussarde, en proposant de but en blanc un nom, on imagine mal que deux tiers des membres de chacune des deux assemblées parlementaires s’opposent à sa volonté : je ne doute pas, chers collègues de la majorité, que vous vous comporterez en vaillants petits soldats !

En revanche, s’il y a appel à candidatures, les commissions de la culture des deux assemblées pourraient, par exemple, procéder en amont à des auditions, en s’inspirant de la démarche exemplaire suivie par le Sénat pour la nomination du président du Public-Sénat : après un appel à projets, une commission pluraliste a étudié les diverses candidatures pour finalement en retenir une à l’unanimité.

Je le dis très clairement, si c’est la première de ces deux options qui est choisie, l’autorité du nouveau président de France Télévisions pour faire face aux défis de l’avenir ne s’en trouvera pas renforcée. À cet égard, je vous ai trouvé très optimiste, monsieur Maurey : même la convention collective n’est pas près d’être signée, et, connaissant la détermination des personnels et la légitimité de leurs revendications, je ne crois pas un seul instant qu’elle pourra l’être avant la première semaine de juin.

Pour la bonne gouvernance de France Télévisions, il importe que le nouveau président ait la confiance à la fois du personnel, du public et de l’ensemble des acteurs du débat démocratique. Il y va de la liberté des médias et du pluralisme, dont le respect s’impose désormais au législateur et au Gouvernement de par la Constitution.

Nous aurons l’occasion, d’ici au mois de juin, de reprendre ce débat. J’espère qu’il n’y aura pas d’entêtement sur ce sujet.