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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
PROTECTION DES JEUNES ET NOUVEAUX MÉDIAS
séance publique le 30 mars 2010

Dix-huit mois après l’adoption du rapport de la mission sur les jeunes et les nouveaux médias, je me félicite que nous débattions aujourd’hui d’un sujet qui suscite à la fois l’espoir et l’inquiétude. Dix-huit mois, c’est long ; dans le domaine des nouveaux médias c’est même une éternité. Mais cela permet de faire le point sur la politique du Gouvernement. Avance-t-on, et si c’est le cas, est-ce dans la bonne direction ? Que reste-t-il à faire ? J’avais rencontré Mme la ministre lors de cette mission et elle m’avait annoncé une Lopsi imminente et déterminante. Imminente, elle ne l’a pas été : c’est peut-être heureux… Déterminante, elle ne le sera pas, sauf si ce débat fait changer d’avis au Gouvernement : soyons optimistes !

Les jeunes sont les protagonistes de la révolution numérique : M. le président de la commission a cité tout à l’heure des statistiques éloquentes. Ils utilisent les nouveaux médias de manière combinée, regardant la télévision en même temps qu’ils « tchatent » avec leurs copains et envoient des SMS. On voit émerger une véritable « culture jeune ». Les nouveaux médias sont à la fois des outils de socialisation, des catalyseurs de compétence, des diffuseurs de culture, des sources de créativité et des supports pédagogiques efficaces. Autant de vertus susceptibles d’être remises en cause selon la manière dont on les utilise.

Les jeunes ressentent un sentiment de liberté du fait de leur maîtrise des nouveaux médias, mais cette liberté n’est absolument pas accompagnée ou mise à profit par les pouvoirs publics. Dès lors qu’on parle d’internet, on évoque les amis, le réseau social, les bloggeurs, les twitteurs, le dernier buzz, mais on constate l’absence frappante de la famille et de l’école qui laissent les jeunes abandonnés, sans repères, dans un monde multi médiatique omniprésent. Je suis pourtant convaincu que la République peut jouer un rôle d’émancipation et d’éducation des jeunes grâce à l’aiguisement de leur regard critique sur le monde numérique.

L’éducation aux médias est un impératif. Alors que la fracture numérique ne se creuse plus en raison notamment de l’effort d’équipement des collectivités territoriales, c’est une double fracture culturelle et intellectuelle qui menace aujourd’hui les enfants. II faut leur apprendre les bons usages de l’internet, comme on leur apprenait au siècle dernier à bien manier les livres et les concepts. Internet est une véritable révolution culturelle qui doit, de ce fait, être accompagnée de politiques ambitieuses. L’école a le devoir de donner aux élèves les moyens d’adopter une posture critique vis-à-vis des nouveaux médias, de l’information, de la publicité, et des contenus qu’ils diffusent. L’école doit démontrer que les médias, et notamment internet, ne transmettent pas un savoir indiscutable mais que la médiation est humaine et doit pouvoir être contestée. L’éducation aux médias devient, dans cette optique, un « impératif démocratique ».

J’avais fait la proposition de mettre en place des heures évidemment prélevées sur le quota horaire annuel- dédiées à l’éducation aux médias au collège avec un travail en faible effectif. J’avais en outre proposé qu’on confie aux professeurs documentalistes une grande partie de cet enseignement. Ces capétiens sont en fait surtout des documentalistes et jamais des professeurs, parce que l’éducation nationale ne leur donne aucun rôle. J’avais rencontré à l’époque Xavier Darcos qui paraissait peu concerné par l’avenir de cette catégorie de personnel, laquelle se réduit comme peau de chagrin années après années alors qu’elle pourrait pourtant jouer un rôle important grâce à sa connaissance des médias. Qu’en pensez-vous madame la ministre ? Comment comptez-vous mettre en œuvre l’éducation aux médias dans un contexte de réduction des moyens et des effectifs peu adaptée à nos besoins ?

Tous les outils doivent être mis à contribution. Dans le cadre de la réforme de France Télévisions, j’avais souhaité qu’au lieu de supprimer la publicité sur la télévision publique on insère dans le cahier des charges du groupe l’obligation de diffuser une émission d’analyse de la publicité et de décryptage des médias. A l’heure où l’indépendance des médias traditionnels est contestée au point que les jeunes s’en détournent pour aller chercher sur internet une information sans tabous, à l’heure où l’on fait des émissions de télétrash pour contester la télétrash avec le désormais célèbre « Jeu de la mort  » sur France Télévisions, il faut plus que jamais insister sur l’intérêt de ces émissions critiques sur les médias qui ont disparu de la télévision publique. Que contient le cahier des charges de France Télévisions sur ce sujet ? Pas grand chose. Qu’est-ce qui est fait concrètement ? Presque rien. Réveillons-nous ou les jeunes se détourneront définitivement de l’information traditionnelle et la transmission générationnelle risque de se gripper sérieusement.

Je proposais en outre qu’on instaure une signalétique positive sur certains programmes jeunesse suivant un cahier des charges précis : non- discrimination entre les genres, ouverture à un public élargi, diffusion de valeurs citoyennes… la signalétique ne doit pas servir qu’à interdire… Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?

L’encadrement de l’utilisation d’internet est la priorité affichée du Gouvernement. Pour lutter contre les problèmes, luttons contre la source des maux, à savoir tous ceux qui diffusent de mauvais messages sur internet. J’avais fait certaines préconisations sur l’utilisation de listes blanches pour les jeunes enfants et de listes noires pour les adolescents. Il apparaît que les fournisseurs d’accès ont progressé sur ces questions grâce à la livraison de logiciels de contrôle parental de plus en plus efficaces intégrant lesdites listes.

Le problème majeur n’est cependant pas résolu : il est lié à la gestion des profils, les parents ayant des difficultés à créer des mots de passe spécifiques et à privatiser leurs sessions sur internet. Nous avons là un problème de culture et de communication. Les campagnes de prévention télévisuelle ont un intérêt, mais le renforcement des outils explicatifs à destination des parents est impératif. La mise en place de ces listes de sites est nécessaire, notamment pour la pornographie dont l’impact est particulièrement néfaste sur les adolescents. Où en est le Gouvernement sur cette question très pratique ?

J’avais également proposé de limiter l’utilisation des webcams par les mineurs dans les messageries instantanées, et d’imposer la diffusion d’un message de prévention et d’alerte en page d’accueil des plateformes de blogs et des sites de réseaux sociaux. Je n’ai rien vu venir…

On me dira que la Loppsi 2 répondra à certaines questions. Certes. Dans les lois Hadopi et sur les jeux en ligne, des dispositifs spécifiques ont aussi été adoptés. La proposition de la loi sur la vie privée à l’heure du numérique votée au Sénat, avec un Gouvernement freinant étrangement des quatre fers, est également une avancée dans la protection des jeunes. Sur internet, c’est le masque qui libère et la transparence qui enferme. Les pseudos et avatars sont extrêmement protecteurs, l’étalement de l’intimité sur les sites de réseaux sociaux et la diffusion à l’envi des données personnelles par les gérants des réseaux sociaux, qui en font un argument commercial majeur, sont extrêmement pernicieux.

Mais, quels que soient les textes à l’horizon, le Gouvernement est confronté à l’obstacle de son approche partielle et parcellaire du problème. Les questions sur les nouveaux médias méritent une politique globale et cohérente. Un projet de loi spécifique et ambitieux serait donc le bienvenu. La transposition du paquet télécoms pourrait par exemple s’accompagner de dispositifs pertinents, et notamment d’une modification de la loi sur l’économie numérique qui est en partie obsolète et ne protège pas la jeunesse. Y avez-vous réfléchi ? Est-ce l’un de vos axes de travail ou la transposition sera-t-elle faite a minima ?

Vous ne traitez pas des modalités de régulation d’internet. La télévision est très contrôlée mais de plus en plus dépassée par les usages numériques des jeunes. Or rien n’est fait sur ce sujet, alors même que la convergence numérique brouille tous les usages. Il est ainsi possible à un jeune d’accéder en VOD à un programme qui lui serait interdit ou qui ne pourrait être diffusé qu’à certaines heures sur la télévision. On pourrait multiplier les exemples de ce type sur les téléphones mobiles et sur internet.

Internet est aujourd’hui une jungle, avec tout ce que cela comporte de luxuriance d’informations, d’oxygène intellectuel et de diversité culturelle, mais aussi avec tous ses corollaires négatifs : dangerosité, difficultés d’accès aux lieux intéressants et loi du plus fort. Bref, à quand un organe de régulation efficace, un CSA de l’internet que j’ai appelé de mes voeux dans mon rapport et qui ne semble pas rencontrer d’écho ? Le CSA, lui, ne veut surtout pas qu’on lui confie cette mission… Qu’en pensez-vous ? Auriez-vous une perspective, un calendrier, voire une simple promesse qui pourrait engager le présent Gouvernement ? Mais le contrôle absolu n’existe pas et ses effets pernicieux sont majeurs. Les filous courent plus vite que les gendarmes du net et l’éducation devra, je le répète, être la priorité.

Nous vivons une révolution technologique et culturelle que l’on doit accompagner sérieusement et le Gouvernement n’a pas pris conscience de l’ampleur de cette transformation. Et si cette prise de conscience a eu lieu, elle n’est pas suivie de moyens suffisants. Or le chantier est gigantesque. Le Gouvernement va investir dans les réseaux via le grand emprunt, mais quid du service après-vente, de l’accompagnement de la révolution technologique ? Quels sont les moyens consacrés à la prévention et à la régulation des risques liés à internet ?

Quels seront les moyens consacrés à la prévention et à la régulation des risques liés à internet. Quels sera le montant des crédits consacrés à jeunesse ? Le Gouvernement augmentera-t-il ses investissements en la matière ?