L’indépendance de la presse divise les sénateurs

Laurent Berbon – Public Sénat

Le 19.01.2011 à 19:55

Les rédactions sont-elles suffisamment indépendantes ? La question est posée par le sénateur socialiste David Assouline, à l’initiative d’une proposition de loi sur le sujet. Soutenue dans l’opposition mais jugée « démagogique » et « rigide » par la majorité, le texte a peu de chance d’aboutir.

Partant du constat que « les atteintes à l’indépendance des rédactions se multiplient », le groupe socialiste du Sénat sous la houlette du sénateur de Paris, David Assouline, propose une loi pour améliorer les choses. Recueillant les faveurs du groupe socialiste et d’autres élus de l’opposition sénatoriale, la proposition de loi vise à créer une structure juridique pour permettre aux rédactions de se développer en toute indépendance. Mais cette initiative a pourtant peu de chances d’aboutir.

Plus de pouvoirs à l’équipe rédactionnelle

La commission de la Culture du Sénat examinait mercredi le rapport fait sur cette loi par le sénateur UMP Jean-Pierre Leleux. Ce dernier ne cache pas son scepticisme. « Tout le monde partage l’objectif de l’indépendance des journalistes (…), mais pour la majorité de la commission, cette proposition de loi comporte des risques d’inapplicabilité réelle, elle amène une rigidité dans le fonctionnement », explique Jean-Pierre Leleux. Celui-ci pointe du doigt plusieurs dispositions du texte. Tout d’abord, le droit de véto dont disposerait l’équipe rédactionnelle concernant les projets éditoriaux lui étant soumis et la nomination  « d’un responsable de la rédaction qu’il soit directeur de l’information, directeur de la rédaction ou rédacteur en chef ». « Il y a un droit à dire, mais pas un droit à interdire », affirme Jean-Pierre Leleux, qui critique également le droit d’alerte dont disposerait l’équipe rédactionnelle « en cas de changements importants dans la composition du capital ». Des « prérogatives exorbitantes », souligne le sénateur des Alpes-Maritimes.

Jean-Pierre Leleux a également dans son viseur l’obligation faite de « se doter d’une équipe rédactionnelle permanente et autonome composée de l’ensemble des journalistes professionnels ou d’une association de journalistes ». « Une association ne se décide pas par une autorité extérieure mais par les journalistes eux-mêmes. Ce qui est en cause, c’est la liberté d’opinion individuelle du journaliste », insiste Jean-Pierre Leleux, inquiet de l’atteinte ainsi portée à la « clause de conscience » des journalistes. « L’entité que représente une rédaction n’enlève rien à la clause dont bénéficie individuellement chaque journaliste », rétorque Marie-Christine Blandin. Soutenant la proposition de loi de David Assouline, la sénatrice Verte du Nord juge quant à elle ce texte totalement applicable ce texte et l’estime même bénéfique pour la « diversité politique » qui « a toujours été en bonne santé quand la presse était elle-même libre et diverse ».

Autre point de divergence, la concentration d’un très grand nombre de titres par quelques groupes de presse. Sur ce point, le texte propose notamment « d’informer les lecteurs de tout titre de presse des actionnaires détenant plus de 10% du capital » et de « tout changement de dirigeants ou d’actionnaires ». Une exigence de transparence qui laisse de marbre Jean-Pierre Leleux, rappelant que sur ces points la loi de simplification du droit est déjà intervenue.

« J’ai le sentiment que la presse est libre en france »

Mais, en réalité les divergences sur le fond semblent davantage relever d’une différence de points de vue sur l’état de l’indépendance de la presse en France et sur les conditions de cette indépendance. « En Suède, il n’y a que deux groupes de presse et plusieurs titres même d’opinions politiques différentes, c’est-à-dire qu’il n y a pas forcément volonté d’intervention », prend comme exemple Jean-Pierre Leleux, confiant « avoir le sentiment que la presse est libre en France ». « La majorité aujourd’hui, et en particulier le gouvernement et le chef de l’Etat sont d’une proximité avec les magnats de la presse. Tout ce qui peut les déranger peut être balayé d’un revers de main », déclare pour sa part Marie-Christine Blandin pour expliquer la position de la majorité sur ce texte. La centriste, Catherine Morin-Desailly reconnaît que ce texte pose une « vraie question », mais déplore une « réponse inadaptée » et « démagogique ». La sénatrice  de la Seine-Maritime parle aussi de « méthode étrange », reprochant à David Assouline de n’avoir travaillé ce texte qu’avec la seule collaboration du Syndicat national des journalistes (SNJ).

Si l’initiative du sénateur socialiste ne devrait probablement pas aboutir, les sénateurs auront en tout cas le loisir de poursuivre la discussion en séance le 27 janvier prochain.