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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
VOTE PAR VOIE ÉLECTRONIQUE LORS DES ÉLECTIONS DES MEMBRES DE CONSEILS DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS
Séance publique le 04 mai 2010

Madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quand on prétend soumettre un texte au Parlement, la question à laquelle il convient d’abord de répondre est : à quoi sert-il ?

M. Longuet s’est plaint, ces jours-ci, de l’ordre du jour surchargé du Parlement, saisi de lois portant sur tout et n’importe quoi. Le temps dont nous disposons doit donc être réservé à l’examen de textes qui servent à quelque chose.

J’ai donc cherché dans la proposition de loi sa raison profonde. Sa raison avouée et assumée a été développée ici par Mme la ministre : il s’agit de lutter contre l’abstentionnisme, en particulier celui du collège étudiant, qui participe peu aux élections.

Or cette proposition de loi va s’appliquer à tous les collèges. Pourtant, le taux de participation des personnels enseignants est de l’ordre de 65 % et celui des personnels IATOS de 60 %, soit des taux tout à fait convenables. L’objet de la présente proposition de loi est donc ailleurs.

Il est vrai que le taux de participation des étudiants, qui oscille entre 16 % et 17 %, est faible. Le problème est d’ailleurs endémique. D’un point de vue sociologique, ce ne sont pas ceux qui travaillent à l’université qui ne participent pas aux élections. La faible participation concerne avant tout les étudiants. On en connaît les raisons, et ce depuis très longtemps. Pourtant, on agit très peu dans ce domaine.

Contrairement aux personnels enseignants et aux autres professionnels, les étudiants ne passent pas l’essentiel de leurs journées à l’université. Ils n’y ont pas de perspectives à long terme – le but est tout de même d’en sortir ! De plus, pour des raisons que nous connaissons et que nous avons souvent évoquées ici, près d’un étudiant sur deux quitte l’université avant la fin du premier cycle. Le turn-over y est donc malheureusement énorme.

Parallèlement, rien n’est fait pour encourager les étudiants à se sentir concernés par la vie universitaire et ses enjeux. Il faudrait que les étudiants soient informés des questions débattues au sein du conseil d’administration, ce qui n’est pas toujours le cas, qu’ils sachent qu’ils peuvent y faire entendre leur point de vue et que celui-ci peut peser.

Il n’existe pas à proprement parler de vie étudiante dans notre pays. Ailleurs, ces questions ne se posent pas dans les mêmes termes. Les campus où les étudiants logent, disposent d’une bibliothèque universitaire et d’un restaurant, où ils ont des loisirs sportifs et culturels, sont de véritables lieux de vie. Ils s’apparentent à de petites villes.

La France n’a pas fait ce choix pour ses universités. Même dans une structure comme Jussieu, où 70 000 étudiants étaient concentrés sur une même dalle lorsque j’y faisais mes études, les étudiants se sentaient très seuls, encore plus seuls que dans de petites unités ne comptant que quelques milliers de personnes, l’individualisation et la dépersonnalisation y étant absolues.

Or qui a assumé la mission d’informer les étudiants afin de les faire participer aux élections ? Ce sont non pas les pouvoirs publics et les conseils d’administration, mais les organisations étudiantes ! Vous avez cité l’une d’elles, monsieur le rapporteur, l’UNEF, qui se trouve avoir émis un avis défavorable. Celle-ci étant majoritaire – je le signale au passage –, il conviendrait peut-être de tenir compte de son avis ! Au-delà de l’UNEF, il importe, me semble-t-il, de rendre hommage aux efforts constants engagés par les syndicats étudiants de toutes obédiences pour impliquer les étudiants dans les élections.

Voilà ce sur quoi nous devons agir ! Penser qu’il suffit de s’en remettre à une technologie pour régler des problèmes bien plus profonds, c’est être complètement à côté de la plaque. C’est même dangereux !

D’ailleurs, comme M. Renar l’a souligné, le vote par voie électronique, même s’il présente probablement certains avantages, n’a pas eu d’incidence sur l’abstention partout où il a été mis en place. On a observé des reculs de la participation, même s’ils ne sont pas dus au vote électronique, lors des élections prud’homales et de l’élection des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, et je pourrais citer d’autres exemples. La question est donc ailleurs, et j’y reviendrai à la fin de mon propos.

Mme la ministre a invoqué l’argument de la modernité. Très franchement, dans cet hémicycle, je ne suis pas le plus réticent à l’égard des technologies numériques ! J’ai même essayé de les encourager et de vaincre, par des démonstrations parfois très concrètes, les préventions et les frilosités de mes collègues afin de persuader ces derniers du fait que ces technologies pouvaient nous faciliter la vie.

Cependant, nous souhaitons tous – on l’a vu dans cet hémicycle en matière de culture et d’échanges d’informations – que la révolution numérique ne se fasse pas au prix d’une perte de sens. Nous pensons qu’elle doit préserver les rapports humains, respecter la transparence qu’implique la démocratie, et qu’elle suppose aussi une certaine régulation.

Dans un rapport adopté à l’unanimité par la commission, j’ai proposé d’intégrer de façon massive, à l’école comme à l’université, l’éducation aux nouveaux médias. En effet, pour donner du sens, il faut responsabiliser et éduquer. Or l’éducation aux nouvelles technologies est totalement absente des programmes de l’éducation nationale. Les jeunes, qui maîtrisent mieux les nouvelles technologies que leurs professeurs et que leurs familles, sont livrés à eux-mêmes dans ce domaine et ne reçoivent pas les enseignements qui leur permettraient d’exercer leur liberté pleine et entière. Or la liberté, ce n’est pas l’abandon, c’est la responsabilité !

On nous dit que 92 % des étudiants ont accès à Internet ; mais il ne faut pas oublier les 8 % restants ! Il y a là une inégalité que l’on n’a jamais vue par ailleurs. Or l’égal accès de tous les étudiants au scrutin doit être garanti.

En outre, le problème n’est pas seulement le vote électronique. La proposition de loi tend également à permettre aux étudiants de voter depuis leur domicile. Certes, des municipalités ont déjà mis en œuvre le vote électronique, mais les électeurs doivent néanmoins se déplacer pour voter et utiliser les dispositifs de vote. Dans les pays qui utilisent ce système, la traçabilité du vote est assurée et la chaîne de confiance respectée.

Comment peut-on prétendre que le vote à distance entraînera moins de tricheries et de contestations ? Alors que le vote n’aura plus lieu dans le secret de l’isoloir, comment pourra-t-on vérifier que c’est bien la bonne personne qui vote, qu’il n’y a pas usurpation d’identité ?

Il faut absolument empêcher pareilles fraudes. Or le dispositif n’est absolument pas sécurisé !

C’est la raison pour laquelle le législateur n’a jusqu’à présent jamais autorisé le vote électronique à distance. Les votes par correspondance et par procuration sont très réglementés et n’entraînent, par conséquent, aucune contestation.

La raison que vous invoquez pour défendre cette proposition de loi est la lutte contre l’abstentionnisme. Or le vote électronique à distance crée une inégalité et rompt le secret de l’isoloir. En outre, les mécanismes de sécurisation que vous avez mis en place sont insuffisants et ne garantissent pas la transparence du dispositif. Faute de temps, je ne reviendrai pas sur les quatre préconisations essentielles de la CNIL. Je souligne simplement qu’elles seraient très lourdes et extrêmement coûteuses à mettre en œuvre pour éviter toute contestation.

Dans ces conditions, la vraie raison n’est-elle pas plutôt politique ? Ne s’agit-il pas plutôt d’atteindre un syndicat en particulier, qui conteste souvent la politique du Gouvernement, quel qu’il soit, comme il l’a toujours fait d’ailleurs, parce que ce syndicat est dans son rôle lorsqu’il défend les intérêts matériels et moraux des étudiants ?

Je voudrais simplement vous mettre en garde sur un point : en voulant atteindre une organisation, vous risquez de fragiliser la démocratie étudiante. Le risque est grand, en effet, si l’on autorise le vote de chez soi, à n’importe quelle heure et dans n’importe quelles conditions, de faire élire des petites listes démagogiques, bidon, corporatistes ou potaches ! Certaines listes sont souvent déposées dans le seul but de plaisanter, de tourner le processus électoral en dérision, de se moquer des représentants élus, parfois même des enseignants.

Au final, de telles listes, parce qu’elles sont seulement dans la dérision, ne parviennent pas à mobiliser les étudiants. Et parce qu’elles n’obtiennent souvent que très peu d’élus, elles ne peuvent pas peser au sein du conseil d’administration.

Il faut donc miser sur les véritables organisations étudiantes, qui sont présentes, mobilisent, s’informent et réalisent des expertises tout au long de l’année, concourant ainsi à la démocratie au sein des universités.

Par conséquent, si le recours au vote électronique a pour effet de minorer la représentation des organisations responsables au profit de formations fantaisistes, c’est à la démocratie étudiante qu’il portera atteinte !

Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à une telle réforme. Pourtant, nous sommes favorables à tout ce qui s’inscrit dans une perspective de modernisation. Nous continuerons d’ailleurs à vous le prouver lorsque le Sénat sera amené à se prononcer sur de vraies questions de fond !