La lutte contre l’antisémitisme doit être le combat de tous.
Tribune. « L’antisémitisme est l’affaire de tous », clament à raison plus de 250 signataires, après avoir publié dans Le Parisien, dimanche 22 avril, une tribune contre « le nouvel antisémitisme ». Cette tribune s’alarme, à juste titre, de l’insupportable regain des crimes et délits antisémites. Depuis une dizaine d’années, des juifs ont été assassinés en France, parce que juifs ! La parole antisémite s’est libérée et a franchi la ligne rouge qui mobilisait des millions de Français dans la rue pendant les soixante ans qui ont suivi la Shoah et la collaboration vichyste.
Cet appel souligne, à raison, le rôle délétère des islamistes et de leurs réseaux idéologiques, lesquels partagent les obsessions antisémites de l’extrême droite et d’une partie de la gauche radicale. Il est hors de question de minorer cette réalité.
Pourtant, il fait l’impasse sur l’autre carburant de cette résurgence de l’antisémitisme qu’est la montée des populismes nationalistes. Plus grave encore, en enfermant cette dénonciation dans une opposition identitaire à une communauté musulmane voulue uniforme, en l’essentialisant dans l’injonction à modifier le Coran, il alimente le fantasme d’une « oumma » que tente de faire advenir l’idéologie des islamistes. Enfin, en mêlant des signataires honorables à des figures proches de la droite identitaire, il décuple le risque de confusion.
Antisionisme radical
Les préjugés antisémites sont très forts dans toute l’Europe, et ils touchent toutes les classes sociales et toutes les confessions, comme l’indiquent les études les plus récentes. Toujours vivace à l’extrême droite, l’antisémitisme a trouvé, depuis les années 1960, un nouveau masque sous la forme d’un antisionisme radical qui reprend les stéréotypes de l’influence occulte des juifs, notamment en laissant croire que toute critique de la politique israélienne est interdite. Dieudonné et ses réseaux l’ont bien compris en désignant à la vindicte « les sionistes » pour tenter d’échapper aux lois qui punissent en France les discours de haine.
On se souvient d’appels à tuer les juifs qui ont fusé dans la rue en juillet 2014, dans le silence d’une partie de la gauche radicale présente dans ces cortèges, et aussi de ceux entendus à « Jour de colère » en janvier de la même année, patchwork de militants d’extrême droite, adeptes d’Alain Soral, proches de Civitas, du Printemps français, de La Manif pour tous, et des supports de Dieudonné, des pro-Assad, des pro-Hezbollah, tous réunis par la même obsession.
L’antisémitisme islamiste se nourrit tout à la fois de préjugés antisémites liés aux théories du complot – nul n’ignore le succès dans le monde arabe des Protocoles des sages de Sion – et d’une cause palestinienne instrumentalisée. Le djihadisme takfiriste véhicule toutes les haines et commande toutes les tueries : celles des juifs, des homosexuels, des femmes, des mécréants, des minorités religieuses, y compris musulmanes.
La République doit affirmer sa détermination sans faille à contrer et punir non seulement les prédicateurs de haine, mais toutes les militances appelant à la détestation meurtrière. Car la porosité de l’idéologie des islamistes parmi nos concitoyens musulmans existe et doit être combattue pour ce qu’elle est : un danger imminent pour les juifs, pour la France, pour la démocratie.
L’antisémitisme se doit donc d’être dénoncé dans sa globalité. Si nous focalisons notre attention sur le seul antisémitisme des islamistes, nous déculpabilisons tous les autres et ne pouvons le combattre pleinement.
Dépasser les instincts communautaires
Mais, là encore, il manque une précision à la tribune du Parisien. On peut dénoncer les mésusages du concept d’islamophobie, tout en reconnaissant qu’existent aussi en France des actes et des propos antimusulmans que la République, d’ailleurs, condamne au même titre qu’elle condamne tous les racismes. Car l’enjeu est bien de pouvoir combattre toutes les formes de racisme, qui représentent un danger imminent, non pas seulement pour les juifs ou les musulmans, mais pour la France et la démocratie.
Ce qu’occulte également cette tribune, c’est la montée dans le monde, et en Europe, des populismes nationalistes et la remise en question des valeurs des Lumières par des gouvernements tels que ceux de Pologne, de Hongrie, de Russie, de Turquie. Les idéologies se réclamant du nationalisme et du conservatisme attaquent sournoisement les droits de l’homme et les valeurs démocratiques. Dans la plupart de ces pays, l’expression populiste est empreinte d’antisémitisme, de racisme, d’homophobie, de sexisme.
Ce serait une défaite intellectuelle, voire civilisationnelle, de penser pouvoir lutter contre l’antisémitisme en excluant de l’universalisme nos concitoyens musulmans, au motif qu’une petite partie adhère à une idéologie mortifère.
Pour nous, la lutte contre l’antisémitisme exige d’être conduite au nom des valeurs progressistes fondatrices de nos démocraties. Elle doit être le combat de tous, responsables musulmans compris (dont, il convient de ne pas l’oublier, certains ont donné l’exemple). Mais on ne peut pas sérieusement demander à nos concitoyens musulmans de « nettoyer » leur livre saint, de retirer tel ou tel passage du Coran. D’autant que tout laisse à penser que cela ne changerait rien ni à la banalisation de l’antisémitisme ni aux obsessions islamistes.
Sommes-nous confrontés à une guerre de religion ? Non, nous sommes engagés dans un combat des Lumières contre les obscurantismes. La lutte contre l’antisémitisme ne peut pas se compromettre avec un populisme réactionnaire à « bas bruit ». Elle est indissociable du combat antiraciste, égalitaire, républicain et unitaire. Dépasser les peurs et les instincts communautaires est une exigence fondamentale pour que l’ensemble de nos concitoyens, quelles que soient leurs valeurs intimes, vivent dans une société plus juste et plus sûre.