La commission examine ensuite le rapport de M. David Assouline et élabore le texte de la commission sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816 relatifs à l’indépendance de l’audiovisuel public

M. David Assouline, rapporteur. – Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à l’indépendance de l’audiovisuel public ont pour ambition de refonder ce service public. Honnêteté, qualité et indépendance sont les piliers de l’audiovisuel public. Sur ma proposition, le Sénat a d’ailleurs inscrit, à l’article 34 de la Constitution, le pluralisme et l’indépendance des médias au nombre des libertés fondamentales garanties par la loi. La réforme de 2009 a eu des effets très regrettables sur l’indépendance des médias, que souligne le rapport sur l’application de la loi que j’ai cosigné avec Jacques Legendre. La suppression de la publicité a fait largement reposer le financement de France Télévisions sur la dotation de l’État : on voulait rendre le service public indépendant des annonceurs alors qu’il l’était déjà, on l’a rendu dépendant de l’État alors qu’il ne l’était pas.

La nomination des présidents de l’audiovisuel public par le président de la République a renforcé cet effet boomerang. On a voulu mettre fin à une prétendue hypocrisie en assumant sans hypocrisie les pressions sur les médias, qui seraient, pour certains, consubstantiels à l’exercice du pouvoir. De ce fait, les présidents de l’audiovisuel public ont systématiquement été soupçonnés de partialité. Chaque décision a été analysée à travers le prisme des choix politiques qu’elle était supposée traduire

Certains jugent le mode de nomination est secondaire, estimant que l’indépendance est une pratique plutôt qu’une règle fixée. Je crois que c’est une erreur. Rien ne garantit que le président de l’audiovisuel saura rester neutre et impartial en toute circonstance, a fortiori quand son renouvellement est en jeu. On m’objectera que toute nomination est un pari sur la capacité de la personne à résister aux pressions. Je réponds qu’il faut surtout compter sur les garanties d’indépendance. Les règles ne suffisent certes pas à assurer l’indépendance, mais il n’y a pas d’indépendance sans règles.

Le projet de loi prévoit un ensemble de garanties pour mettre les présidents de l’audiovisuel public à l’abri de tout soupçon. La première est celle de l’autorité de nomination. Pour que la nomination soit légitime, l’intermédiaire entre le pouvoir politique et les médias doit lui-même être neutre. Les présidents de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde seront dorénavant nommés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Un CSA rénové dont six des sept membres seront nommés par les commissions des affaires culturelles des deux assemblées à la majorité positive des trois cinquièmes : c’est une proposition révolutionnaire en droit français, qui obligera majorité et minorité à trouver un consensus sur le choix des personnes. Les candidatures feront l’objet d’un véritable projet stratégique. Les commissions parlementaires se verront transmettre le rapport d’orientation du nouveau président, qu’elles pourront auditionner.

Le CSA est le garant de la liberté de communication, qui est une liberté fondamentale ; c’est donc bien à lui de nommer les présidents de l’audiovisuel public. D’autres mesures viennent renforcer l’édifice. L’article 1er A fait du CSA une autorité indépendante dotée de la personnalité morale. L’article 1er renforce les critères de compétence pour la nomination de ses membres. L’article 2 durcit le régime d’incompatibilité applicable aux membres mis en disponibilité d’une entreprise publique. L’article 3 met le régime de sanction en conformité avec le droit conventionnel et constitutionnel. Dans la pratique, un rapporteur indépendant instruira les dossiers de poursuite et de sanction, la décision étant prise par le collège. L’article 5, relatif au mode de nomination, est complété par l’article 6 qui précise les modalités de révocation. Les deux articles du projet de loi organique traduisent cette évolution en supprimant les articles correspondants introduits en 2009.

L’article 6 nonies, inséré par l’Assemblée nationale, prévoit en outre que le CSA donne un avis sur les rapports relatifs à l’exécution du COM, avis qui éclairera le Parlement. Surtout, ce même article maintient la publicité en journée sur France Télévisions, élément essentiel de son indépendance financière.

L’Assemblée nationale a renforcé les compétences de régulation économique du CSA, faisant doubler le volume du projet de loi. Les articles 6 ter à 6 octies prévoient ainsi que le rapport d’activité du CSA comporte des éléments sur les effets économiques de ses décisions, sur l’état de la concentration dans les médias ou encore la situation de la télévision locale. Parce que de nouveaux pouvoirs imposent de nouvelles responsabilités, le CSA est invité à rendre davantage compte devant nos assemblées. Les modifications de convention des chaînes de télévision et de radio devront faire l’objet d’une étude d’impact. Attention toutefois à ne pas créer un engorgement d’études d’impact… Les députés ont également donné au CSA la faculté de réserver des appels à candidature pour des fréquences HD à des chaînes déjà existantes en définition simple, ce qui pose des difficultés pratiques.

Le CSA devra agréer les changements au capital d’une chaîne de télévision ou de radio, ce qui donnera une base juridique à une taxe relative à la revente de fréquences. L’amendement à la loi de finances que j’avais fait adopter par le Sénat -dit « amendement Bolloré »- avait en effet été censuré au motif qu’il ne s’appuyait pas sur une disposition précise de la loi de 1986 : l’obstacle sera ainsi levé.

Enfin, l’Assemblée nationale a prévu que le CSA puisse faire passer une chaîne de la TNT payante à la TNT gratuite sans appel à candidature. Certains mettent en doute la constitutionnalité -je n’y crois pas- et la conventionalité de la mesure, mais l’équivalent existe pour les radios. Le CSA demande depuis longtemps cette souplesse. L’autorité n’a pas su, ou pu, faire émerger une TNT payante rentable ; et des décisions doivent être prises rapidement, entre le passage de certaines chaînes au gratuit ou une présence limitée à la distribution non hertzienne. Enfin, je rappelle que le texte ne fait qu’accorder au CSA une faculté ; il n’entraîne pas de facto la création de nouvelle chaînes gratuites, comme font mine de le croire ceux qui redoutent l’arrivée de nouveaux concurrents. LCI demande ainsi à passer au gratuit, sa survie est en jeu. L’ancienne procédure lui impose de déposer un nouveau projet ; avec ce texte, elle pourra simplement demander le transfert du projet existant. Je vous présenterai à l’article 6 octies un amendement imposant notamment une étude d’impact et un débat public préalables à la décision du CSA afin d’encadrer au mieux cette mesure.

Le CSA est légalement tenu d’affecter les fréquences disponibles. Or certains craignent qu’il ne les préempte en faveur de l’audiovisuel, au mépris du pluralisme ou de la santé économique des acteurs. L’article 6 quater crée donc une commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle, comptant des parlementaires et consultée sur tous les projets de réaffectation de fréquences allouées au CSA, en lieu et place notamment de la commission du dividende numérique. De plus, aux termes de l’article 6 septies, le CSA prendra ses décisions sur l’usage des fréquences après des études d’impact et une consultation publique, et pourra différer l’utilisation de ces fréquences, pour une durée de deux fois deux ans. Enfin, l’article 6 decies supprime définitivement les canaux bonus attribués rapidement en 2007 et contraires au droit communautaire.

Je suis pleinement favorable à ce texte fondé sur deux principes excellents : la garantie de l’indépendance de l’audiovisuel public et l’autonomie de l’organe de régulation, qui obtient de nouvelles compétences et rend davantage compte de ses décisions devant le Parlement.

Mes amendements s’inscrivent dans la tradition sénatoriale d’équilibre et de garantie des libertés publiques. Je proposerai notamment de limiter les études d’impact obligatoires du CSA lors des modifications de conventions aux seules télévisions et radios nationales, de favoriser le passage à la HD en respectant les catégories de service existantes, ou encore d’encadrer la décision de passer une chaîne de la TNT payante à la TNT gratuite.

La décision devra être compatible avec les principes de liberté de communication, de pluralisme et avec la préservation des équilibres des marchés publicitaires.

La nomination du président de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) doit, selon nous, relever de l’article 13 de la Constitution. Cette institution bénéficie de la redevance, appartient au secteur public et participe indéniablement à la vie sociale de la Nation. Modifions la loi organique afin que les commissions donnent leur avis, voire opposent un veto, à la majorité des trois cinquièmes.

Je vous proposerai également que le CSA donne un avis sur les COM de l’audiovisuel public. Du reste, il le fait déjà, sans y être obligé, et ses travaux nous apportent un éclairage précieux. Je salue à cet égard l’avis qui vient d’être émis.

On parle depuis longtemps de la convergence numérique. Or texte ne traite ni de celle-ci, ni de ses effets sur les compétences du CSA. Etrange silence ! La mission confiée par Mme Aurélie Filippetti à M. Pierre Lescure, dont les conclusions ont été rendues publiques au mois de mai, proposait d’alléger le dispositif de la réponse graduée -dès le mois de juillet, un décret a supprimé la possibilité de couper temporairement l’accès Internet des contrevenants- mais également de transférer cette mission au CSA. Or l’Assemblée nationale n’a pas abordé ce sujet.

La révolution numérique est l’enjeu fondamental. Il est urgent d’agir. Ainsi trois amendements, dans la continuité de ce qui avait été adopté en 2009, visent à soumettre à une déclaration préalable auprès du CSA tant les services de médias audiovisuels à la demande que leurs distributeurs. La procédure de règlement des différends qui vaut pour les chaînes de télévision leur serait également applicable.

La convergence, ainsi que l’avenir de l’Hadopi et son éventuel transfert au Conseil supérieur de l’audiovisuel font partie intégrante du débat. J’aborde cette question sans dogmatisme. Compte tenu de la convergence en cours, le rapprochement est désormais cohérent, même si les modes de régulation doivent rester différents. Je ne souhaite évidemment pas créer une sorte de néo-big brother indépendant pour réguler Internet. Mais la création audiovisuelle et sa protection, notamment sur Internet, sont des sujets d’émoi chez les professionnels ; j’ai reçu des dizaines de commentaires provenant de toutes les professions concernées. Etrangement, les mêmes qui veulent rénover le CSA refusent de prendre en compte les nouvelles technologies. Or quel meilleur moyen de le moderniser que de lui associer une expérience et une expertise déjà présentes au sein de l’Hadopi ? A l’époque de sa création, j’avais adopté une position originale : privilégiant la dissuasion et la prévention, non la répression, j’avais vivement protesté contre la coupure de l’accès à Internet. Aujourd’hui, et je m’en félicite, la coupure administrative n’existe plus et la coupure judiciaire a été récemment supprimée.

A ce jour, indique la Commission de protection des droits, deux millions de premières recommandations ont été envoyées ; les secondes recommandations sont dix fois moins nombreuses ; la Commission comptabilise 700 délibérations, 54 transmissions aux procureurs de la République et quatorze décisions de justice. La pédagogie a pris le pas sur la répression.

Pourtant l’Hadopi n’est pas stabilisée institutionnellement. On note aussi une reprise du piratage. Tout délai est néfaste. Nous ne pouvons pas, au risque de l’hypocrisie ou du manque de courage, éviter le débat sur le transfert ou non de l’Hadopi au CSA. Je suis partisan d’un transfert rapide, qui à la fois moderniserait le Conseil et stabiliserait la mission pédagogique de l’Hadopi.

Demeure toutefois la question du calendrier. La procédure accélérée étant engagée, l’Assemblée nationale ne pourrait débattre de ce transfert, ce qui, compte tenu de l’importance de la mesure, ne me semble pas respectueux de nos collègues députés. Il m’a donc semblé plus pertinent de ne pas déposer d’amendement sur ce sujet tout en prenant date pour que le débat et la délibération du Parlement ne tarde pas. Mais j’ai l’espoir que nos auditions publiques, mon rapport et nos débats contribueront à susciter une initiative rapide.

En attendant, je vous propose d’adopter les deux projets de loi sous réserve de l’adoption des amendements que je vous présente.