Rencontre exceptionnelle organisée par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois que je préside, en partenariat avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Jeudi 5 décembre 2013, de 9 heures à 13 heures

 

Monsieur le représentant de l’OCDE,

Monsieur le Secrétaire général du Gouvernement,

Messieurs les Présidents,

Monsieur le Professeur,

Mes Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

 

C’est pour moi un grand plaisir d’ouvrir ce matin ce colloque sur le rôle des Parlements en matière d’évaluation de la qualité de la législation, organisé en partenariat entre la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, que j’ai l’honneur de présider, et l’OCDE.

L’idée de cette rencontre est née ici même, en avril dernier, à l’issue d’un brillant exposé que Mme Céline Kauffmann avait présenté lors d’un Forum sur l’application des lois, auquel le Secrétaire général du Gouvernement nous avait déjà fait l’honneur de participer.

Mme Kauffmann nous avait donné un premier et très intéressant aperçu des méthodes de contrôle de l’application des lois dans plusieurs États de l’OCDE.

Son exposé avait montré que par-delà la diversité des expériences nationales, tous les Parlements étaient plus ou moins confrontés aux mêmes difficultés pour évaluer le « rendement réel » de leur travail de législateur.

Nous avons donc compris l’intérêt qu’il y aurait de confronter nos pratiques et d’approfondir cette question, somme toute encore assez mal connue.

Dans ce domaine, l’OCDE et plus précisément, sa « division de la politique réglementaire » est un interlocuteur de premier ordre, car cette organisation internationale dispose de correspondants dans de très nombreuses administrations étrangères, et a donc pu collecter des données tout à fait précieuses.

L’OCDE ne s’arrête d’ailleurs pas à la loi proprement dite, mais s’intéresse plus généralement à l’évaluation de toutes les normes y compris les règlements émanant du pouvoir exécutif car ce problème de la qualité normative se pose dans les mêmes termes pour la loi comme pour les règlements.

J’ajoute qu’il se pose aussi pour les normes européennes, comme nous le confirmera sans doute tout à l’heure une des responsables en charge de cette question au sein du Parlement européen.

Notre colloque prolonge donc la rencontre du 16 avril, et va vous permettre d’en savoir plus sur les pratiques de plusieurs de nos voisins et partenaires européens, ainsi que d’évoquer certaines expériences poursuivies dans quelques Parlements hors d’Europe.

Mais vous l’aurez noté, nous allons envisager aujourd’hui la question de manière plus large qu’en avril, en dépassant la notion d’application des lois proprement dite.

Nous allons nous intéresser, cette fois, à l’applicabilité des lois, qui se pose comme un objectif fondamental d’une bonne politique législative.

En effet, à quoi bon produire des normes, si celles-ci se révèlent inapplicables, soit parce qu’elles ne règlent pas réellement les problèmes qu’on veut résoudre, soit parce que leur mise en œuvre effective nécessiterait de mobiliser des moyens humains, matériels ou budgétaires dont on ne dispose pas.

En d’autres termes, la « qualité de la loi », au sens où nous allons l’entendre ce matin, est largement tributaire de son applicabilité effective.

S’assurer de cette qualité est une des responsabilités du Parlement.

Le législateur ne peut plus se retrancher derrière la certitude rassurante d’exprimer la volonté générale, pour reprendre un adage bien connu. Il doit aussi s’assurer que cette volonté générale est traduite en objectifs réalistes et atteignables.

Cette exigence vaut d’ailleurs autant pour le Parlement, chargé de voter la loi, que pour le Gouvernement qui dispose du pouvoir réglementaire, qui joue un rôle moteur dans la préparation et la discussion des projets de loi et qui, désormais, a l’obligation de les assortir d’études d’impact.

À cet égard, je considère que les études d’impact ne sont pas un moyen d’information supplémentaire parmi d’autres : elles représentent au contraire une véritable innovation conceptuelle, associant aussi bien le Gouvernement, qui les rédige, que le Parlement, qui les exploite… sans oublier, le cas échéant, le Conseil constitutionnel, puisqu’il pourrait désormais être saisi dans l’hypothèse où la première assemblée examinant un projet de loi estimerait que l’étude d’impact ne répond pas aux prescriptions de la loi organique du 15 avril 2009.

Certes, à l’heure actuelle, ces études d’impact sont encore de qualité très inégale, comme l’a d’ailleurs reconnu devant notre commission le ministre chargé des Relations avec le Parlement. Mais c’est un procédé appelé à se perfectionner avec le temps et qui, dans quelques années, sera à la fois plus performant et plus banalisé.

Une des pistes de réflexions pour rendre ces études d’impact plus utiles et plus efficaces consisterait, en particulier, à y définir des critères d’évaluation de la loi concernée : cela permettrait d’intégrer la démarche d’analyse qualitative dès le début de la procédure législative, ce qui marquerait un progrès significatif par rapport à la situation actuelle, ou nos évaluations se font toujours en aval.

Grâce aux critères ainsi dégagés, le Parlement serait mieux à même, après un certain délai d’application, de vérifier si oui ou non les buts qu’il s’assignait ont bien été atteints, en y consacrant les moyens prévus.

Dans le cas contraire, s’il décelait un « défaut de qualité de la loi », le législateur pourrait plus facilement « rectifier le tir », soit en changeant le dispositif défaillant, soit en y apportant les correctifs adéquats.

Bien entendu, les assemblées ne disposent que rarement des outils qui lui permettraient d’évaluer lui-même de manière fiable l’impact des mesures soumises à son examen, et reste donc tributaire des analyses du Gouvernement.

Faut-il aller plus loin ? Et comme certains ont pu le préconiser, jusqu’à permettre au Parlement de discuter la pertinence de ces critères ?

La discussion reste ouverte, et d’autres instruments sont également concevables pour permettre au Parlement de mieux évaluer et, si possible, de renforcer la qualité de la loi.

Mais je n’entrerai pas dès à présent dans le détail des procédures, dont les intervenants vont nous entretenir toute la matinée.

En revanche, je voudrais souligner la mutation profonde que représente cette démarche d’évaluation, dans un contexte où, jusqu’à présent, le contrôle du Parlement était plus axé sur l’action du Gouvernement que sur sa propre activité normative.

Comme je le disais en avril dernier, sur ce terrain, nous n’en sommes qu’au tout début, en dépit de quelques premières avancées.

La révision constitutionnelle de juillet 2008 a amorcé un progrès appréciable par rapport à la situation antérieure, en constitutionnalisant la fonction de contrôle et en consacrant la notion même d’évaluation, qui va plus loin que le simple contrôle.

Mais l’article 24, dans sa nouvelle rédaction, s’en tient à « l’évaluation des politiques publiques », et n’épuise donc pas la question, car on s’attache désormais à évaluer la loi elle-même, qui est un des instruments ?parmi d’autres? de la mise en œuvre de ces politiques publiques.

Les Parlements me semblent prêts à assumer cette nouvelle fonction : on assiste, dans les assemblées françaises ?comme sans doute d’autres Parlements en Europe et dans le monde? à une prise de conscience progressive et politiquement assumée, de la nécessité de l’évaluation et de l’exigence de qualité normative.

À mes yeux, ce mouvement est positif, et il répond sans aucun doute à un besoin réel : à une époque où les citoyens et les usagers du droit sont à la fois plus exigeants et plus critiques vis-à-vis des institutions, il est normal que le Parlement souhaite mieux répondre à leurs attentes, et reconsidère ses méthodes de travail et sa manière de légiférer.

C’est un vaste chantier, mais c’est aussi une exigence de démocratie, et je suis heureux que ma commission, bien que récente dans le paysage institutionnel du Sénat, contribue à l’émergence d’une véritable « culture nouvelle du contrôle et de l’évaluation ».

Je ne doute pas que notre colloque permettra à tous les sénateurs et à tous les participants d’approfondir leur réflexion sur un thème qui, sans aucun doute, est appelé à connaître d’importants développements dans les années à venir.

Je remercie à nouveau les hautes autorités du Sénat qui nous ont permis d’organiser cette rencontre, l’OCDE, ainsi que les intervenants et les participants dans cette salle qui ont accepté de nous accompagner dans cette réflexion.

A tous, je souhaite d’agréables travaux, et je cède la parole à M. Nick Malyshev, chef de la division de la politique réglementaire de l’OCDE.