M. le président.L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan d’application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

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M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, notre commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois est très mobilisée cet après-midi, car nous venons juste de terminer la réunion consacrée à l’examen du bilan annuel d’application des lois, que j’aurai l’honneur de présenter au Sénat le 25 juin.

Je n’aborderai pas dès maintenant les conclusions générales de cette réunion. Elles figureront dans le rapport écrit qui sera distribué dans quelques jours. Je saisis cependant l’occasion pour souligner combien nos travaux ont été soutenus et diversifiés depuis la mise en place effective de notre commission, au mois de janvier 2012.

Avec l’aide des commissions permanentes, nous avons notamment présenté dix rapports thématiques, dont celui qui est consacré à la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », et plusieurs ont donné lieu à des débats en séance publique.

Bien entendu, ces rapports ne se contentent pas de comptabiliser les décrets d’application ou leur délai de parution. En effet, même si un tel travail a toute son utilité, il est loin de la conception à la fois plus ambitieuse et plus utile que je me fais du contrôle de l’application des lois. Pour moi, l’évaluation des politiques publiques et le contrôle de l’application vont de pair. Dans un paysage législatif encombré, complexe et, hélas ! parfois de plus en plus décrié, le Parlement ne peut plus être une machine à voter loi sur loi. Avant d’imposer des règles nouvelles, nous devons d’abord vérifier comment s’appliquent les règles existantes et nous interroger sur la nécessité d’en adopter de nouvelles.

Il serait illusoire et contre-productif d’établir une césure trop artificielle entre la fonction de contrôle et la fonction législative proprement dite. Quand nous faisons le bilan d’une législation, nous sommes le plus souvent amenés à y détecter des lacunes ou des points susceptibles d’amélioration, ce qui débouche naturellement sur des propositions fondées sur un véritable retour d’expérience.

Fidèle à cette logique, ma commission attache beaucoup d’importance à travailler par priorité sur des législations devant être remises en chantier dans les semaines ou les mois à venir. En effet, si le Sénat doit modifier un texte important ou revoir un pan de la législation en vigueur, il est utile de pouvoir lui fournir, avant le début de ses travaux, un état des lieux aussi précis que possible du droit en vigueur et de la manière dont il s’applique. Ce travail de « défrichage », si vous me permettez l’expression, permettra d’engager l’action législative proprement dite en meilleure connaissance de cause.

Telle est bien la démarche suivie pour la loi sur les universités, qui nous retient aujourd’hui. Grâce à nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont, ma commission a pu présenter son rapport à la fin du mois de mars, peu avant que le Sénat ne soit saisi du projet de loi du Gouvernement, dont la commission de la culture va discuter dès demain matin et qui devrait être examiné en séance publique à partir du 19 juin. Notre méthode est donc d’évaluer les dispositifs existants, en l’occurrence la loi LRU, pour pouvoir ensuite envisager sereinement une nouvelle réforme relative à l’université.

Nous mesurons tous l’importance d’une telle réforme. Le Président de la République et le Gouvernement souhaitent donner à l’enseignement supérieur et à la recherche une place essentielle dans le redressement du pays. Elle devra répondre aux attentes de tous les Français, pour qui l’enseignement à tous les niveaux est l’une des missions essentielles de la puissance publique, au service de l’avenir.

Ma commission est donc fière d’apporter sa contribution à cette vaste entreprise, sur la base d’un bilan d’autant plus objectif qu’il a été établi par deux rapporteurs de sensibilités politiques différentes. Je leur laisserai bien entendu le soin de vous présenter le détail de leur rapport, pour n’en retenir que quelques points saillants illustrant bien, me semble-t-il, la démarche que je viens d’exposer. Je me permettrai également de vous faire part de quelques observations personnelles. J’ai moi-même été très engagé dans le débat sur la loi LRU et, du fait de ma propre expérience, je connais bien le sujet.

Notre première préoccupation a été d’identifier les forces et les faiblesses du système actuel et de pointer plusieurs problèmes que, malgré des moyens non négligeables, les lois antérieures, notamment la loi du 18 avril 2006 de programme pour la recherche et la loi LRU de 2007, n’ont pas permis de résoudre, voire ont parfois aggravés.

Si la loi LRU a ouvert aux universités des espaces d’autonomie – mais on pouvait craindre à l’époque une aggravation des distorsions entre les petites et les grandes universités –, elle a suscité en contrepartie d’une telle évolution, qui était souhaitée, un travers que nos rapporteurs qualifient de tendance à « l’emballement » dans la définition des politiques de formation. De fait, désireuses de se démarquer le mieux possible des autres établissements, dans une perspective de concurrence, certaines universités ont multiplié les diplômes novateurs, aux libellés parfois insolites ou confus, sans toujours être certaines de leur soutenabilité financière ou de la coïncidence entre ces formations nouvelles et la demande des milieux économiques locaux.

Si la loi LRU a voulu ouvrir plus largement les universités sur le monde économique, les collaborations sont encore à ce jour assez « balbutiantes », pour reprendre l’expression de nos rapporteurs. Du coup, le pont entre l’université et les entreprises ne fonctionne pas à plein régime, comme le montrent en particulier les résultats médiocres en matière d’orientation et d’insertion professionnelle. Or c’est le sujet majeur de l’université aujourd’hui.

Si un certain nombre d’établissements déploient des efforts méritoires vers une meilleure professionnalisation des diplômes, la prise en compte fine des attentes des entreprises ne fait pas encore partie intégrante de la culture des enseignants-chercheurs.

Sur le plan de la gouvernance, la loi LRU a placé le conseil d’administration au cœur du système. Elle en a fait le seul organe délibératif chargé de définir la stratégie à poursuivre et la politique de l’établissement. À l’époque, nous avions pointé la tendance à négliger la collégialité, qui est pourtant nécessaire ; nous avons constaté à l’usage que nos craintes étaient fondées.

Comme le montre le rapport de notre commission, la pratique s’est révélée plus laborieuse, avec une longue période de rodage avant de trouver les bons mécanismes de concertation et de préparation des réunions du conseil d’administration. En outre, beaucoup dénoncent les interminables réunions du conseil, où sont traités des dossiers techniques peu stratégiques, voire exclusivement catégoriels. Rien d’étonnant, dans ces conditions, que certains membres du conseil manifestent à la longue de la lassitude et, parfois, un réel manque d’assiduité. D’ailleurs, nous connaissons parfois aussi cela dans cet hémicycle…

Réunions fleuves, dossiers trop techniques, mauvaise perception des enjeux, absentéisme… Il faut prêter attention à ces phénomènes, mes chers collègues, d’autant que nos réunions de commissions et nos séances publiques souffrent des mêmes maux.

L’un des dispositifs les plus novateurs de la loi LRU, qui résidait dans les mécanismes de pilotage et de gestion prospective, visait à donner aux établissements une visibilité pluriannuelle sur leurs ressources humaines, financières et immobilières et sur leurs dépenses, compte tenu des priorités de leur contrat d’établissement. Or, avec cinq ans de recul, on constate tout de même que ces ambitions sont loin d’avoir produit tous les résultats escomptés. Comme le relèvent à juste titre nos deux rapporteurs, moins d’une dizaine d’universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique.

De leur côté, les services centraux du ministère ont-ils suffisamment accompagné ces évolutions ? On peut en douter, aucun outil de suivi et de support n’ayant été mis en place au niveau national, notamment pour aider les universités à gérer leur masse salariale, dont je vous rappelle qu’elle représente pourtant jusqu’à 80 % du total des moyens récurrents attribués.

Les rapporteurs vous présenteront de manière plus précise et approfondie les conclusions de leurs travaux. À présent, j’aimerais vous faire part de quelques observations personnelles.

Si la loi a engagé des réformes structurelles, notamment l’autonomie, qui était souhaitée à la fois par la majorité et l’opposition d’alors, d’autres objectifs n’ont pas été atteints. D’une part, l’échec en premier cycle n’a pas été endigué. D’autre part, alors qu’il était question de mettre l’orientation professionnelle au cœur de la politique universitaire, on constate de graves lacunes à cet égard.

Le débat qui va s’engager à partir à la fois de notre diagnostic et du prochain texte dont nous serons saisis va nous permettre non seulement d’examiner ce qui a été efficace et ce qui ne l’a pas été, mais également d’envisager une étape nouvelle pour que l’enseignement supérieur et la recherche soient au cœur du redressement de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)