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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Projet de Loi portant sur la réforme des retraites
séance publique le 08 octobre 2010
1ere lecture Article 5 et 6

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,

avant d’aborder le fond de cet article, permettez-moi de revenir sur l’organisation de nos travaux. Alors que le projet de loi compte trente-trois articles, que nous n’avons même pas encore entamé l’examen de l’article 1er, vous avez décidé d’examiner en priorité les articles 5 et 6. Pourquoi ? Parce que votre plan de communication est déjà prévu. En dépit de tout ce que vous pouvez dire, la seule chose qui vous intéresse, c’est de faire adopter le relèvement de l’âge légal avant mardi afin de pouvoir dire à ceux qui s’apprêtent à manifester, qui espèrent encore pouvoir vous faire bouger, que la disposition étant votée, il n’y a plus besoin de lutter. Eh bien, si, il faudra continuer de lutter, quoi qu’il se passe ce week-end !

Cette manoeuvre, monsieur le ministre, est votre marque de fabrique. Elle est révélatrice de la façon dont vous considérez  le Parlement. Ce n’est pas une bonne manière faite à notre travail. La retraite à soixante ans s’inscrit dans une continuité. Le progrès social a accompagné l’histoire de l’humanité. Il s’est traduit, sur l’ensemble du xxe siècle, par l’abolition de toutes les formes de violence et d’exploitation des travailleurs.La diminution des accidents du travail, la réduction de la durée journalière, puis hebdomadaire, du temps de travail, la suppression du travail des enfants, la création des congés payés, de la retraite, l’allongement des études ont été les étapes essentielles de ce processus.

Contrairement à toutes les tautologies et fausses évidences que vous ne cessez de nous asséner, alors que l’espérance de vie augmentait, le temps de travail a pratiquement été divisé par deux en un siècle : il passé de 2 695 heures par an en 1896 à 1 441 heures aujourd’hui.

Chaque étape de ce progrès social, revendiqué par les salariés, s’est heurtée à l’opposition massive du patronat, soutenu par la droite. De la même façon, aujourd’hui, le patronat, l’UMP et le Gouvernement s’opposent au maintien du progrès social.

On avance toujours les mêmes arguments : ces changements allaient ruiner les entreprises. Ainsi, en 1936, que disaient la droite et le patronat au sujet de la politique du Front populaire et des avancées fantastiques qu’il a permises, notamment l’instauration des congés payés ?

Reprenez les articles de presse ! Ils osaient accuser le Front populaire et ses conquêtes, que personne, ensuite, n’a jamais osé remettre en cause, d’avoir ruiné l’économie du pays et préparé la défaite de 1940 !

À chaque fois, vous avancez les mêmes arguments ! À chaque nouveau progrès social, à chaque tentative de préserver un progrès social, vous nous dites que l’on veut affaiblir l’économie. Or l’histoire a prouvé le contraire. La réduction globale du temps de travail s’est accompagnée d’une très forte augmentation de la richesse par habitant, mesurée par le PIB par habitant : tandis que le temps de travail était divisé par deux, la richesse par habitant était multipliée par huit. Ces progrès n’ont donc jamais été accompagnés de décroissances ou de catastrophes économiques pour notre pays.

Le passage, en 1980, de 65 ans à 60 ans de l’âge légal du départ à la retraite reposait sur l’idée d’un « véritable droit au repos que les travailleurs sont fondés à revendiquer en contrepartie des services rendus à la collectivité, à l’issue d’une durée de carrière normale ».

Cette vérité d’hier est toujours valable, car une grande majorité des salariés liquide aujourd’hui sa pension de retraite à l’âge de 60 ans. Ainsi, en 2009, 72 % des attributions de pension de droit direct des hommes à la CNAV et 60 % de celles des femmes concernaient des salariés âgés de soixante ans. Six salariés sur dix liquident leur retraite alors qu’ils ne sont plus en activité. Voilà la réalité !

Les salariés ayant commencé à travailler jeunes arrivent à l’âge de 60 ans en ayant souvent acquis des droits supérieurs à ceux qui sont nécessaires, d’autant que le dispositif « carrières longues » a été considérablement restreint.

À 60 ans, la différence entre l’espérance de vie d’un ouvrier et celle d’un cadre est de sept ans. Or, aujourd’hui, on dit aux ouvriers qu’ils profiteront moins que les autres de leur retraite, qu’ils vont perdre sept ans de pension. Nous n’avons jamais abordé cet aspect sur le fond. Il faudra y venir, et évoquer aussi la question de la pénibilité. Le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite est une injustice flagrante. Lors de la discussion des amendements, nous aurons l’occasion d’évoquer la réalité économique de la réforme, qui ne permet en rien d’assurer la pérennité du système de retraites.

Explication de vote

Qu’arriverait-il si l’on suivait la logique de M. Longuet, pour qui la seule façon de sauver le régime par répartition est de mettre en regard le nombre des actifs et le nombre des inactifs et d’accroître le premier en élevant l’âge de départ à la retraite ? Un tel raisonnement valait au moment de la création du système, mais aujourd’hui, s’il fallait l’appliquer, le système par répartition ne serait malheureusement plus viable. Et ce n’est pas la solution des 62 ans de M. Woerth qui réglerait le problème !

Comme je l’ai déjà répété à maintes reprises, compte tenu de la pyramide des âges, vous ne pouvez pas laisser les actifs payer pour les inactifs.

Le trou creusé ainsi pour les trente années à venir impliquerait une élévation d’au moins huit ans !

Les grands équilibres du système par répartition doivent donc être reconsidérés. Du reste, la pyramide des âges n’est pas la seule à avoir changé. Une pyramide qui a aussi considérablement évolué, c’est celle des revenus financiers, lesquels ne sont pas taxés, ne sont pas assujettis aux cotisations sociales, ne participent pas à l’assurance vieillesse, et qui ont pourtant explosé !

En juxtaposant ces deux pyramides, on se dit que la seule façon de compenser le fait qu’il y ait moins d’actifs par rapport aux inactifs serait de soumettre à cotisations les revenus du capital. Ce serait toujours de la répartition, mais d’une autre manière. Ce n’est pas ce que vous avez choisi, monsieur le ministre : là est le problème !

Monsieur Fourcade, vous avez cité l’exemple de la Chine. Mais savez-vous que, là-bas, dans les années qui viennent, 300 millions de personnes vont atteindre ce que l’on appelle l’âge de la retraite ? Et elles ne toucheront pas un yuan, parce qu’il n’y a pas de retraite en Chine !

Vous nous désignez ce pays comme un modèle, mais ce ne peut pas en être un parce qu’une société ne peut pas tenir comme ça !

Aujourd’hui, beaucoup d’arguments ont été avancés. J’en reprendrai quelques-uns.

Si les jeunes sont dans la rue, s’ils se sentent autant mobilisés, c’est parce qu’ils ont bien compris que reculer de deux ans l’âge de départ à la retraite équivaudrait, pour eux, à un million d’emplois en moins !

Monsieur le ministre, vous ne l’ignorez pas, si, d’ici à 2025, la croissance était supérieure de 0,5 point aux prévisions – on sait combien celles-ci sont aléatoires ! –, la moitié du besoin de financement serait comblée et votre idée de relever à 62 ans l’âge de départ à la retraite deviendrait encore plus infondée. Mais, quand on tarit l’emploi des jeunes, on limite les possibilités de croissance.

Autre argument : le taux de chômage des seniors. Plus de la moitié des actifs âgés de 55 ans sont sans emploi. On sait bien que, trois ans avant la retraite, nombreuses sont les personnes qui sont décrochées de toute activité et basculent dans le chômage ou la préretraite. En prolongeant de deux ans la durée de vie active, on les plonge deux ans de plus dans la précarité, mais une précarité accrue, avec un basculement dans les minimas sociaux et dans le RSA.

Imaginez ce que peuvent ressentir ceux qui, ayant mis un point d’honneur à travailler toute leur vie, finissent au RSA à la fin de leur carrière, puis touchent une pension de retraite moindre puisque la moyenne de leurs revenus d’activité a diminué. C’est un véritable hold-up !

Explication de vote

À l’occasion de l’examen de cet amendement, nous revenons sur certaines questions. Mais je ne comprends pas pourquoi M. le ministre ne veut jamais nous répondre de façon précise !

Nous avons tous fait le même constat : il faut pérenniser le système de retraite par répartition. Vous et nous pensons qu’il faut le réformer, parce que nous ne pouvons laisser s’aggraver le déficit financier qui, à terme, ferait exploser le système.

Vous avez choisi de financer la réforme en augmentant exclusivement ou, en tout cas, principalement, l’âge légal de la retraite, c’est-à-dire en faisant porter essentiellement l’effort sur les salariés.

Je vous l’ai répété à plusieurs reprises, le fait d’augmenter l’âge légal ne contribuera à la pérennité du système que pour un tiers ! Ce n’est pas moi qui l’ai inventé, c’est le Conseil d’orientation des retraites qui l’a écrit dans un document qui vous était destiné pour vous aider dans vos choix !

J’ai traduit cela autrement ce matin en vous disant qu’avec ce seul critère, il faudrait augmenter non pas de deux ans, mais de six ans l’âge légal ! Par conséquent, votre mesure garantira peut-être une stabilité sur quelques années, mais il ne s’agit nullement, comme vous le laissiez entendre à l’origine, d’une réforme systémique assurant la pérennité jusqu’en 2025 !

Pour régler ce problème, nous, socialistes, proposons d’aller chercher 45 milliards d’euros d’ici à 2025 de la façon suivante :

D’abord, 2 milliards d’euros grâce à la majoration des prélèvements sociaux sur les bonus et les stock-options de 5 % à 38 %, comme le propose la Cour des comptes.

Ensuite, 3 milliards d’euros grâce au relèvement du « forfait social » appliqué à l’intéressement et à la participation de 4 % à 20 %.

Par ailleurs, 7 milliards d’euros grâce à l’application de la CSG sur les revenus du capital actuellement exonérés, en maintenant l’exonération sur les livrets d’épargne et les plus-values sur la résidence principale, afin que vous ne fassiez pas de fausses accusations, et la remise en cause de la défiscalisation des plus-values sur les cessions de filiales. Vous savez de quoi je parle, c’est la niche Copé !

Enfin, 7 milliards d’euros grâce à l’augmentation de la contribution sur la valeur ajoutée, instaurée à la suite de la suppression de la taxe professionnelle de 1,5 % à 2,2 %, en exonérant les petites entreprises, car nous voulons qu’aucune de nos mesures ne nuise à la croissance.

Ces quatre mesures permettraient de mobiliser 19 milliards d’euros en 2010, ce qui, compte tenu d’une croissance, même minime, représenterait, pour 2025, environ 25 milliards d’euros.

Telles sont les mesures que vous qualifiez de « bombardement fiscal ». Mais je veux entendre, une fois, une critique précise, et non une communication destinée à affoler le peuple !

En quoi ces mesures constituent-elles un bombardement fiscal pour les Français alors qu’elles ne portent que sur les revenus du capital ? Nous ne proposons aucune autre taxation ni impôt. Rien ! Mais il est vrai que certains, parmi les plus aisés, seraient davantage taxés, alors que, pour vous, le seul financement possible repose sur les revenus du salariat !

Pour résoudre le grand problème qui se pose à la nation, celui du sauvetage du système par répartition, et pour trouver les 45 milliards d’euros qui manquent, vous voulez, dites-vous, mettre en place une réforme systémique destinée à assurer la pérennité du système pour les nouvelles générations. Je vous prends au mot !

Commencez par écouter les propositions des syndicats. Ils ne sont pas bêtes : ils ne nient pas le problème et ne vous répondent pas non plus que les caisses sont pleines !

Écoutez aussi l’opposition ! Nous sommes nombreux, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, et les Français nous font plutôt confiance à l’occasion des élections que, depuis quelques années, nous gagnons : élections municipales, régionales. Les résultats des cantonales ne vont pas être mauvais non plus !

Cela permettrait de trouver un consensus national, si tant est que l’unique point de mire est la façon de trouver les 45 milliards d’euros qui manquent sans mesures injustes, et grâce à des efforts partagés.

Voilà ce à quoi tendent nos propositions, car nous en avons ! Nous ne vous laisserons pas affirmer le contraire tout au long des débats. Non, l’opposition ne se contente pas de dire : demain, on rase gratis !

Explication de vote

Les raisons pour lesquelles nous nous opposons à cet article 5, nous n’arrêtons pas de les évoquer. Et, je veux le dire politiquement à M. le ministre, nous continuerons à le faire au-delà de la discussion de l’article 5 et jusqu’au terme de l’examen de l’article 33, parce que c’est au cœur du sujet et qu’en découle tout ce que nous discutons à travers cette loi.

Je veux dire aussi que si nous voulons chercher à comprendre la manœuvre qui a consisté à vouloir, avant l’article 1er, discuter des articles 5 et 6, la réponse apparaît comme une évidence. Il s’agit de dire aux Français, tout à l’heure quand sera voté l’article 5 : « Circulez, il n’y a plus rien à voir, car, même s’il y a quelques agités au Sénat qui pourront encore discuter pendant trois semaines, ce droit fondamental n’existe plus dans notre pays ». Il faut que les Français, et tous ceux qui sont chargés de véhiculer l’information réelle, sachent qu’en aucun cas, après le vote de l’article 5, tout à l’heure, le droit à la retraite à 60 ans aura été aboli. En effet, aucune disposition n’est votée tant que la loi n’est pas elle-même votée. C’est seulement quand la loi sera votée que cette disposition aura « sauté » du droit social français. Et je veux dire à tous ceux qui vont manifester le 12 octobre que c’est encore plus nécessaire car jusqu’au bout le Gouvernement, qui l’a parfois fort mal utilisé, a le droit, avant la fin de la discussion de l’article 33, de revenir sur le vote de l’article 5 pour satisfaire les aspirations des Français.

Je voulais le dire de façon très nette car nous savons déjà que le plan de communication va se déclencher dans quelques heures et que, tout le week-end, nous allons entendre la petite musique : « c’est fini, il n’y a plus de raison de manifester ; vous pourrez sur les autres articles, à la marge obtenir des petites choses, mais la retraite à 60 ans, c’est fini, maintenant c’est 62 ans ». Ce n’est pas vrai, et si l’ensemble des parlementaires ici présents veulent encore défendre la dignité, voire même seulement l’utilité, de leur fonction, ils doivent le dire avec nous. Sinon, qu’est-ce que cela signifie ? Qu’à partir de tout à l’heure nous ne discuterons de plus rien, que nous discuterons pour la galerie, que nous sommes des pantins ?

Je veux conclure en disant que cette façon de faire de Nicolas Sarkozy – car tout vient de là ! – ne peut pas être viable encore dix-huit mois !

On ne peut pas penser qu’il est possible de gouverner un pays aussi ancien, avec de telles traditions démocratiques, avec de telles traditions d’accueil, de concorde, d’ouverture sur le monde, en mettant le feu tout l’été en désignant des étrangers, en désignant des Roms à la vindicte.

On ne peut pas penser qu’il est possible de gouverner en refusant d’écouter les syndicats, la démocratie sociale, en refusant d’écouter ceux qui manifestent, en refusant d’écouter même les enquêtes d’opinion dont Nicolas Sarkozy est si friand et qui disent que sept Français sur dix ne sont pas d’accord.

On ne peut pas penser qu’il est possible de gouverner en refusant d’écouter l’Assemblée nationale, en refusant d’écouter le Sénat et en le brutalisant au bout de quarante-huit heures en faisant venir les amendements directement de l’Élysée à l’AFP avant même qu’en séance le ministre ait pu faire semblant qu’ils venaient de lui ou du groupe UMP. De telles traditions, de telles conquêtes sociales aussi fortement enracinées, comme l’a rappelé tout à l’heure le Premier ministre Pierre Mauroy, ne peuvent être effacées par de la communication.

Je ne vois pas comment au-delà du 12 octobre cette situation pourra perdurer sans prendre le risque de quelque chose qui devienne ingouvernable. Alors, nous espérons que le Gouvernement va se ressaisir, parce que personne n’a intérêt, pour la France, au blocage total et à l’incommunication absolue entre les Français.