SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Séance publique le 02 décembre 2010

Mission Médias, livre et industries culturelles

Compte spécial : Avances à l’audiovisuel public

Je concentrerai mon intervention sur un seul sujet concernant l’audiovisuel.

« À quoi bon garder une régie publicitaire dans une chaîne de télévision dès lors qu’il est prévu de supprimer la publicité ? » Reconnaissez-vous ces propos, mes chers collègues ? Je poursuis : « La vocation de France Télévisions n’est pas de gouverner une régie publicitaire dont elle n’a plus que faire. » Monsieur le ministre, c’est la réponse que vous avez apportée à la question que je vous ai posée le 18 février 2010 dans cet hémicycle.

Je me permets de citer vos propos aujourd’hui parce que le débat sur le sujet a avancé ; il conviendrait de le reconnaître.

Nous soutenions alors que le problème était non pas la publicité – est-ce bien, est-ce mal ? – mais la pérennité financière du service public de l’audiovisuel. Selon nous, l’indépendance, l’autonomie de France Télévisions devait être garantie grâce à un financement sûr – on ne peut en effet prendre le risque de sacrifier le service public de l’audiovisuel de quelque manière que ce soit – et nous considérions que la publicité sur les chaînes publiques constituait une telle garantie.

On nous a rétorqué que le financement serait assuré sans recourir aux recettes publicitaires. Or la taxe qui avait été prévue à cette fin a été retoquée par l’Europe. Monsieur le ministre, vous avez beau nous répéter sans cesse que ce refus n’est pas justifié, notamment parce qu’il s’agit d’une taxe indirecte, l’Europe reste ferme sur ce point et on ne peut plus compter sur le produit d’une telle taxe.

Ensuite, la première concession a été faite : la suppression de la publicité avant vingt heures a été reportée, pour laisser un temps de réflexion.

Nous savons qu’il n’est pas possible aujourd’hui pour France Télévisions de construire une stratégie d’entreprise – même si elle est publique, l’entreprise doit avoir une stratégie, elle doit voir loin – si l’enveloppe de 450 millions d’euros censée être donnée par l’État pour la pérennité du financement n’est pas garantie.

Et depuis lors est intervenue la crise financière. Or, ainsi que je vous l’ai répété dix fois à cette tribune, on ne peut pas expliquer aux Français que les caisses sont vides, qu’il faut réduire toutes les dépenses, que les crédits destinés aux services publics essentiels pour la cohésion sociale seront rabotés, surtout qu’ils doivent se serrer la ceinture, et en même temps dire : on ne veut plus de l’argent qui provenaient des recettes publicitaires et c’est l’État qui va mettre la main à la poche. Une telle position n’était pas tenable longtemps.

On en revient donc à la raison ; mais jamais complètement ! Vous avez proposé cette année un moratoire sur la suppression de la publicité avant vingt heures pour 2014. C’est encore une façon de ne pas prendre de véritable décision. Mais pourquoi avoir choisi cette date ? Que se passera-t-il d’ici à 2014 ? Quel est le plan pour compenser la suppression des recettes publicitaires ? Il n’y en a pas !

En fait, il faut seulement faire semblant de maintenir la décision prise pour répondre au caprice du Président de la République qui, un jour, a dit : « on supprime tout ». Même si on n’y arrive pas, il ne faut pas déjuger le Président. Mais enfin, nous ne sommes pas là pour faire plaisir ou non au Président ; nous sommes là pour légiférer !

J’en appelle donc à l’ensemble des sénateurs sur quelque travée qu’ils siègent, car, dorénavant, le diagnostic que je viens de dresser est partagé.

Il a d’ailleurs été partagé à l’Assemblée nationale, puisque le texte transmis à la Haute Assemblée prévoit non pas un moratoire en 2014, mais la suppression de la suppression de la publicité avant vingt heures. Le service audiovisuel public peut donc désormais voir loin : il sait que, entre vingt heures et six heures, il n’y aura plus de publicité, mais qu’en dehors de cette tranche horaire la réclame sera toujours autorisée. Le budget sera ainsi construit à partir de cette donnée, avec l’aide de l’État qui compense.

Je voudrais maintenant aborder le problème sous l’angle de la stratégie d’entreprise.

Je suis un sénateur de gauche et, en tant que tel, je me sens obligé, chers collègues de la majorité, de vous renvoyer les arguments que vous nous opposez souvent dans l’hémicycle, sous prétexte que vous, vous connaissez l’entreprise et pas nous.

Alors, chers collègues, expliquez-moi pourquoi, du fait du dépassement de ses prévisions de recettes publicitaires – les salariés de la régie sont compétents, dynamiques –, France Télévisions voit sa dotation de compensation de 450 millions d’euros rabotée de 60 millions d’euros. Comment voulez-vous, dans ces conditions, favoriser le dynamisme de l’entreprise ?

Connaissez-vous une entreprises où l’on demande aux salariés de chercher des contrats, et où on leur dit : plus vous en trouverez, plus on vous enlèvera de recettes… Avec une telle logique, ils n’iront plus rien chercher ! Pourquoi le feraient-ils ? Vous cassez la dynamique de la régie publicitaire ; C’est évident !

Pour la deuxième année consécutive, les salariés de la régie ont fait plus que ce qui leur était demandé, plus que ce qui était prévu – et c’est rare, à plus forte raison dans une entreprise publique – afin que France Télévisions s’en sorte et que l’argent supplémentaire puisse être investi.

L’État s’est engagé à verser 450 millions d’euros, il doit le faire. Quand le budget prévisionnel est dépassé, le surplus peut être réinjecté pour l’investissement, notamment pour développer le média global et le numérique et faire en sorte que nous soyons au meilleur niveau.

Regardons autour de nous : au Japon et ailleurs, l’investissement permet aux sociétés d’audiovisuel d’être toujours au top, alors que la France, notamment sur le numérique, est toujours en retard. Or, dans ce domaine, le retard ne peut se rattraper parce que les progrès sont trop rapides : lorsqu’on rattrape un certain niveau de technologie, d’autres ont déjà développé des outils encore plus performants.

Je n’ai pas prononcé l’intervention que j’avais préparée, car nous allons avoir un débat approfondi sur le sujet, et j’aimerais convaincre M. Legendre que le moratoire est désormais inutile puisque rien n’est prévu pour que l’on puisse se passer de la publicité en 2014. Et France Télévisions a besoin d’un financement pérenne !

Je relève d’ailleurs que le débat aura lieu non pas à la suite de celui d’aujourd’hui, mais demain ou après-demain, alors qu’un vote très important doit avoir lieu – il s’agit en effet de choisir entre le moratoire et le maintien définitif de la publicité avant vingt heures – en conclusion des discussions que nous allons avoir aujourd’hui.

Il n’y a habituellement pas d’enjeux décisifs dans nos débats – on vote pour, on vote contre –, à quelques exceptions près. Et aujourd’hui, alors que l’enjeu est d’importance, on choisit de reporter le débat à samedi ou dimanche, de le détacher du reste de la discussion. À mon sens, ce n’est pas une très bonne façon d’organiser les séances ; je le dis à l’adresse de la commission des finances, qui est sans doute à l’origine de cette décision.

Nous essaierons toutefois d’être présents quand l’amendement en cause sera discuté en séance publique : samedi vingt heures, ou dimanche quatorze heures, nous ne savons pas…