SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Projet de Loi portant sur la réforme des retraites
séance publique le 18 octobre 2010
Procédure accélérée – Article 27

Cet article peut être considéré comme un nouveau tour de passe-passe de la part du Gouvernement.

La prise en considération de la pénibilité aurait dû permettre de déboucher sur une possibilité de départ en retraite anticipée. Vous avez décidé que cela ne se ferait pas. Et vous avez bricolé à cette fin un dispositif de prise en compte de l’incapacité permanente individuelle qui n’apporte rien de nouveau et aucun progrès pour tous ceux qui ont eu à subir un travail pénible.

L’astuce consiste à ne pas prendre en compte l’exposition à un travail pénible, mais seulement les séquelles éventuelles à l’instant T.

De plus, cette procédure de reconnaissance individualisée vous permet de ne pas considérer les maladies à effet différé. Vous savez parfaitement que la majorité des cancers dus à l’exposition et à la manipulation de produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, CMR, se déclenche plusieurs années après la fin d’activité professionnelle.

On reste donc dans le dispositif préexistant, sans rien de nouveau. Vous gagnez ainsi sur les deux tableaux.

D’abord, vous ne reconnaissez pas la pénibilité. Vous contournez la notion, tout en l’inscrivant dans la loi.

Comme nous l’avons déjà dit, vous n’expliquez surtout pas en quoi elle consiste, car cela vous entraînerait à reconnaître qu’elle pourrait avoir des conséquences sur tous ceux qui y sont exposés.

Ensuite, et grâce à cela, vous mettez en place une procédure individualisée.

Des esprits malintentionnés pourraient dire que cette procédure ressemble à celle que proposait le MEDEF lors des dix-huit séances de négociation inabouties avec les syndicats sur le sujet. Mais c’est inexact. Elle ne lui ressemble pas. C’est la même. Mot pour mot.

C’est une procédure qui ne reconnaît pas la pénibilité du travail, qui oblige chaque salarié abîmé à passer devant une commission qui déterminera son taux d’incapacité.

Vous vous prévalez du taux de 10 % d’invalidité, que vous auriez concédé comme un cadeau, alors qu’il ne concernera que 5 % des salariés tout au plus, soit environ 30 000 personnes. Pourtant, le nombre de salariés exposés aux substances CMR, aux horaires de nuit et décalés, au bruit, au port de charges lourdes est bien plus important.

Aujourd’hui, 3 700 000 salariés travaillent de nuit, régulièrement ou non ; 1 700 000 personnes sont exposées aux produits toxiques. II n’est pas honnête de prétendre que l’on fait une réforme sociale avec des chiffres pareils.

Et surtout – puisque vous n’arrêtez pas de dire qu’il y a une prise en compte, un progrès par rapport à l’existant – quel progrès cette réforme représente-t-elle ? Absolument aucun, monsieur le ministre.

Qu’accorderez-vous aux victimes de la pénibilité ? Je dis bien « victimes » puisqu’un taux d’incapacité partielle permanente leur sera reconnu.

Vous leur accorderez royalement, au mieux, le droit de partir en retraite à 60 ans. Vous leur accorderez ce qu’ils ont déjà aujourd’hui sans incapacité. Le progrès aurait été, et c’est ce que vous aviez promis en signant les accords de 2003 qui maintenaient l’âge légal de départ à 60 ans, d’avoir une possibilité de partir avant 60 ans.

En résumé, il faudra être reconnu invalide pour partir à 60 ans. En fait, une fois de plus, votre réforme est une régression, fondée sur la compassion des puissants envers ceux qui n’ont pour patrimoine que l’espoir de leur retraite.

Ce qui est encore un droit pour tous aujourd’hui, parce que la gauche l’a voulu, devient un avantage qu’il faudra demander et pour lequel il faudra en somme passer un examen. Je ne vous dis pas, pour ceux qui ont fait une carrière longue, qui ont trimé toute leur vie, l’humiliation que cela représentera !

Ce procédé et la publicité mensongère qui l’accompagne sont intolérables au regard de ce que vivent aujourd’hui les travailleurs, au regard de l’usure et des souffrances des plus exposés.