Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission– le 19 juin 2013

Madame la ministre, je veux tout d’abord saluer votre travail et votre disponibilité, mais aussi votre courage, car du courage il en faut beaucoup, dans notre pays, pour entreprendre une réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La réforme de notre enseignement supérieur était attendue, tant celui-ci joue un rôle majeur pour la grandeur de notre pays et sa place dans le monde, tant l’idée que l’on se fait de l’intelligence, du progrès humain et de la culture, en général, y est présente, concentrée au maximum.

C’est ce que l’on pouvait déjà dire en 2007, c’est ce que l’on peut dire encore aujourd’hui, tant le malaise est, malheureusement, toujours présent dans nos universités, malgré les avancées que la loi LRU a permis, mais aussi parce que la loi LRU n’a pas été à la hauteur de l’attente ou a même détérioré certaines situations.

Le moment de cette réforme est donc venu, et cette grande ambition commune doit désormais trouver une concrétisation lisible pour la communauté universitaire et, au-delà, pour nos compatriotes.

L’école et la jeunesse étaient au cœur des engagements de François Hollande.

Toutes nos réformes, mais particulièrement la refondation de l’école et celle de l’université et de la recherche, visent à redonner de l’espoir aux nouvelles générations, avec au cœur l’objectif de la réussite éducative.

Toutes les réformes portées par le Gouvernement visent à redresser notre pays, mais celle-ci, en particulier, en donnant une nouvelle ambition pour la recherche, dans un monde ouvert, permettra à la France de garder et, parfois, de retrouver son rang, voire dans certains domaines de conquérir une nouvelle place, à la pointe de l’innovation, par la valorisation de tous ses atouts, souvent reconnus dans le monde entier.

Où en sommes-nous ? D’où venons-nous ?

En 2007, je disais ceci à cette tribune, lors du débat sur la loi LRU, en présence de Mme Pécresse :

« Les enseignants-chercheurs vivent de plus en plus mal le fait de devoir assumer de lourdes charges administratives et de travailler dans des salles de cours et des laboratoires dont l’état est digne de pays en voie de développement. Les personnels administratifs et techniques vivent de plus en plus mal le fait de devoir administrer la pénurie des moyens. Les étudiants vivent de plus en plus mal la précarisation de leurs conditions de vie et le risque de l’échec ; 90 000 jeunes sortent ainsi tous les ans de l’enseignement supérieur sans diplôme. Les présidents d’université vivent de plus en plus mal le fait d’être cantonnés dans un rôle d’animateur d’instance sans autre véritable pouvoir que celui de protester auprès du ministère face à l’insuffisance récurrente des budgets. La communauté universitaire dans son ensemble vit de plus en plus mal la stigmatisation de l’université qui, d’héritière de la Sorbonne qu’elle était, ne serait désormais, selon ses détracteurs, qu’un monstre bureaucratique accueillant des bacheliers “trop médiocres” pour intégrer les filières sélectives des grandes écoles, stigmatisation sans cesse alimentée par des idéologues “déclinistes”. »

Aujourd’hui, soit six ans après la loi LRU, malgré les avancées apportées par celle-ci pour permettre un pilotage plus autonome des universités, sept ans après la loi Recherche, je pourrais, à peu de choses près, tenir les mêmes propos, faire le même diagnostic global. Je le déplore, car souvent le temps perdu ne se rattrape pas facilement, et les dégâts ne se réparent qu’au prix d’efforts supplémentaires, venant s’ajouter à ceux qui sont toujours nécessaires pour être à la hauteur de l’ambition de notre pays !

Les principaux défauts des décisions passées étaient de ne traiter que les aspects de la gouvernance et de l’évaluation régulière des établissements – et ce, nous le verrons, de façon contestable –, alors que la réforme était nécessaire dès 2007 pour lutter contre l’échec scolaire en premier cycle et la précarité des conditions de vie de beaucoup d’étudiants, pour valoriser les jeunes chercheurs, pour établir une cohérence d’ensemble avec la recherche en fonction d’une stratégie globale de l’enseignement supérieur et de la recherche, domaines alors abordés dans des lois distinctes.

Nous voulons donc trancher avec toute une série de réformes inachevées et de renoncements intervenus depuis dix ans, avec des promesses financières non tenues, avec une autonomie supposée qui, en réalité, a beaucoup masqué des transferts incomplets de masse salariale, avec l’abandon de la collégialité, qui abîme la culture et la démocratie universitaires, avec la stigmatisation du service public de la recherche, souvent sacrifié.

Oui à l’autonomie, que nous socialistes avons toujours défendue, comme possibilité plus grande d’agir, d’innover, d’être réactifs ! Nous y voyons la responsabilité, le renforcement de l’exécutif, certes pour l’efficacité, mais aussi pour la collégialité et le renforcement de la démocratie. Nous y voyons aussi la confiance de la nation dans sa communauté universitaire.

Nous savons que la droite, elle, ne voyait dans l’autonomie que la concurrence entre universités, toujours au détriment des plus petites structures, la concurrence de tous contre tous, la sélection sociale et la privatisation rampante. Derrière ce beau mot d’autonomie, la droite a toujours caché beaucoup d’idéologie au service du libéralisme. Eh bien, avec ce projet de loi, madame la ministre, nous revendiquons avec vous l’autonomie et lui donnons le contenu qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’avoir, qu’elle mérite d’avoir !

D’ailleurs, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application de la loi, que je préside, a produit un rapport établissant un bilan critique de la loi LRU. Je n’y reviendrai donc pas, mais je citerai un exemple concernant ce qui est probablement le dispositif le plus novateur de la loi LRU.

Ce dispositif, que nous avons soutenu, consistait en des mécanismes de pilotage et de gestion prospective qui devaient donner aux établissements une visibilité pluriannuelle sur leurs ressources humaines, financières et immobilières, ainsi que sur leurs dépenses, compte tenu des priorités fixées par leur contrat d’établissement. Or, avec cinq ans de recul, on constate que ces ambitions sont loin d’avoir débouché sur tous les résultats escomptés : comme le relèvent à juste titre nos rapporteurs, moins d’une dizaine d’universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique.

Toutefois, la loi LRU a enclenché une dynamique, et dans un environnement normatif qui aspire à la stabilité, nous devons partir de là. Une abrogation pure et simple de la loi LRU serait une perturbation. Elle casserait des dynamiques positives et freinerait la modernisation des universités françaises.

Si le changement radical est nécessaire, il ne passe pas nécessairement par l’abrogation. Il suppose, d’abord, de corriger ce qui était négatif, mal fait. Il suppose, ensuite, l’engagement de tout ce qui avait été mis de côté, oublié. Il suppose, enfin, de s’appuyer sur tout ce qui était positif.

Il fallait commencer par établir ce qui avait été méprisé : la concertation, l’écoute des acteurs de la grande communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pour l’élaboration du présent projet de loi, cette concertation a été un préalable. Il faut saluer cette méthode, qui tranche considérablement avec les habitudes du gouvernement précédent.

Souvenons-nous que la loi LRU avait été discutée, amendée et votée par notre assemblée huit jours seulement après l’adoption du texte par le conseil des ministres. C’était possible, à l’époque ! Il fallait faire vite, en juillet, précisément pour qu’aucun des acteurs ne puisse parler, peser, débattre.

Pour ce projet de loi, la méthode choisie a permis aux sensibilités les plus diverses de s’exprimer. Ainsi, 20 000 personnes ont participé aux assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, de juillet à octobre 2012 ; c’est de là que sont issues les priorités qui constituent la pierre angulaire de ce projet de loi : la réussite des étudiants, une régénération de la gouvernance des établissements d’enseignement supérieur, une réforme du système de recherche inscrite dans la modernité.

Cela donne donc un projet ambitieux pour le niveau de qualification de notre jeunesse, mais également pour le soutien à la recherche fondamentale, indissociable des enjeux d’aujourd’hui : sans le savoir et ses applications immédiates, pas de progrès socioéconomiques, pas de mieux-disant environnemental, en somme pas de redressement durable dans la mondialisation.

Nous devons ici traiter les questions qui ont été négligées et mal abordées, mais aussi fixer des axes stratégiques clairs, avec des moyens à l’appui en matière de politique éducative. C’est ce que fait ce projet de loi !

La réussite des étudiants est la première préoccupation. Le taux d’échec en premier cycle universitaire s’est aggravé de cinq points. Seuls 33 % de nos étudiants obtiennent leur licence en trois ans, 40 % réussissent en trois ou quatre ans, contre 60 % des étudiants en Allemagne, dans des filières non sélectives, donc à termes de comparaison égaux.

L’objectif de faire accéder 50 % d’une classe d’âge à un diplôme d’enseignement supérieur a été fixé alors que le chômage touche plus de 25 % des jeunes, particulièrement ceux qui sont sans qualification et sans diplôme. La mise en adéquation des formations avec le marché du travail est aussi un objectif prioritaire. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur l’orientation, à plusieurs niveaux, et le texte répond à cet impératif.

Dans cette perspective, la création de 1 000 postes sur cinq ans dédiés à la réussite éducative est programmée. C’est le plus gros effort consenti depuis plus de dix ans pour les plus de 2,3 millions d’étudiants que compte notre pays. C’est le pendant de la loi de refondation de l’école de la République et de ses 60 000 postes supplémentaires.

Le texte prévoit en outre la spécialisation progressive en licence, avec la constitution d’un projet personnel et professionnel, la simplification des licences et des masters.

Je me félicite aussi de la priorité donnée aux bacheliers professionnels et technologiques, souvent issus de milieux populaires, pour l’accès aux STS et aux IUT.

L’alternance sera développée, avec un doublement du nombre de places d’ici à 2020. Elle deviendra une composante à part entière de la formation dans l’enseignement supérieur, contribuant à une meilleure insertion professionnelle.

Il faut saluer le travail accompli sur le texte par l’Assemblée nationale pour démocratiser l’enseignement supérieur et faire vivre la méritocratie républicaine, en rendant l’accès aux filières sélectives de l’enseignement supérieur possible pour les bacheliers de tous les lycées.

Loin d’être truffé de grandes phrases, comme j’ai pu l’entendre dire, ce projet de loi décline méthodiquement et de façon précise l’ensemble des mesures concrètes que nous devons mettre en œuvre pour lutter contre l’échec et permettre une meilleure orientation.

Le texte traite également des conditions de vie étudiante. Mme la ministre a rappelé qu’était programmée la construction de 13 000 logements étudiants. Au total, avec l’apport du Centre national des œuvres universitaires et scolaires, l’engagement de créer 40 000 logements en quatre ans sera tenu.

Par ailleurs, le dixième mois de bourse a été effectivement rétabli par Mme la ministre. L’annonce du précédent gouvernement n’était qu’un leurre, car la mesure n’avait pas été budgétée !

Le Sénat avait d’ailleurs dû inscrire les crédits nécessaires dans le projet de loi de finances rectificative ! Annoncer une mesure sans prévoir son financement, c’est mentir aux Français ! Nous ne vous suivrons pas dans cette voie !

Les dispositions relatives au fonctionnement et à l’organisation de l’université vont également concourir à la construction d’un système plus efficient. Tandis que le précédent gouvernement suivait une logique de recomposition en dix grands pôles d’excellence génératrice d’inégalités, la gauche dote l’université d’outils juridiques et rééquilibre la carte universitaire autour d’une trentaine de grands ensembles.

En matière de gouvernance, le texte vise à rétablir la collégialité et à réduire l’« hyper-présidentialisation » instaurée par la loi LRU. Pour autant, nous avons le souci de l’efficacité : le président d’université aura les moyens d’agir. La droite, elle, a toujours voulu opposer démocratisation et efficacité !

Je ne m’étendrai pas sur l’ambition pour la recherche manifestée par le texte, car nous y reviendrons dans le détail au cours du débat. Une stratégie globale pour la recherche est proposée, étroitement liée à la stratégie pour l’enseignement supérieur. Le gouvernement précédent avait, pour sa part, élaboré deux lois distinctes : une pour la recherche, une pour l’enseignement supérieur. On a vu le résultat !

La commission a bien travaillé, et le groupe socialiste est fier des amendements qu’il a déposés. Certains ont déjà été intégrés au texte en commission, d’autres seront présentés en séance publique.

Pour conclure, ce projet de loi nous donne les moyens de réformer dans la durée et, surtout, dans la confiance. Notre jeunesse et notre communauté universitaire sont une chance pour la France. Le monde change : notre système de l’enseignement supérieur et de la recherche ne pourra ni survivre ni rayonner dans le contexte de la mondialisation si nous ne menons pas une véritable réflexion sur la société du savoir au XXIe siècle. Notre travail consistera à mettre cette réflexion en adéquation avec la stratégie globale de redressement national ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)