Le 12 novembre 2012, je participai, en qualité de parlementaire membre de la commission culture, communication et éducation mais aussi en tant qu’historien, à un colloque au Sénat : « Outre-Mer, une mémoire audiovisuelle à partager ». En matière de mémoire et d’histoire, les enjeux de sauvegarde et de numérisation sont fondamentaux.

Retrouvez ici mon intervention, en réponse à Pascal Blanchard, historien et animateur des débats :

« Merci de m’avoir invité. Je veux dire toute ma satisfaction d’écouter ce débat et d’y participer. Celui-ci recoupe en réalité deux thèmes distincts, mais pourtant dépendants l’un de l’autre. Il y a d’abord le thème de la construction d’un patrimoine, puis de façon concomitante, celui de la construction d’une mémoire collective à partir de ce patrimoine. Aujourd’hui, avec la façon dont les uns et les autres s’approprient la mémoire, il n’est pas possible de développer une mémoire collective sans constituer au préalable ce patrimoine. Je veux donc me poser en complément de ce qui a été dit, car l’essentiel a déjà été évoqué à travers l’ensemble des interventions.

 

Aujourd’hui, l’enjeu de la mémoire et de l’histoire est souvent discuté. Il doit être très clair qu’il n’existe aucune possibilité réelle, tranquille et dynamique de laisser les historiens travailler si on pense qu’il est mieux d’enfouir des moments de l’histoire, ou alors de les minorer ou bien encore de les « corneriser ». Au contraire, cette lucidité et cette vérité sur le passé sont des outils puissants de la construction de l’avenir. Et lorsqu’il existe encore des blessures (mais cela n’existe pas dans toutes les histoires), cela devient un levier fondamental pour les apaiser et pour engager des réconciliations et des constructions communes.

 

Je veux saluer l’importance de ce travail, mais dire aussi qu’il faut faire attention : si un consensus peut se créer quant à la préservation et à la construction de ce patrimoine de l’outre-mer, il faut faire attention à ce que ce ne soit pas réservé à l’outre-mer, pour l’outre-mer, à ceux qui y vivent, comme on mettrait des choses dans un coin. Il faut que l’ensemble de la communauté nationale et l’ensemble des médias de la Nation s’approprient ce fonds et ce patrimoine. Par exemple, il faut obligatoirement qu’on puisse voir ces images sur les chaînes de France Télévisions et sur les chaînes généralistes, il faut qu’on puisse construire des émissions destinées à l’ensemble des citoyens, car il ne s’agit pas d’une histoire particulière (elle a certes ses particularités), mais de l’histoire de notre Nation et l’histoire de notre République.

 

La Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, pour laquelle je suis rapporteur du budget dédié aux médias, a dernièrement auditionné l’INA. Or, nous sommes à une période où on peut prononcer de grandes phrases sur telle ou telle nécessité culturelle, mais où tout le monde doit aussi faire de nécessaires efforts parce que l’argent ne coule plus à flots. Mais c’est très souvent dans ces moments que l’on décèle la réelle attention portée pour soutenir concrètement ces grands discours, ces grands mots et ces grandes convictions.

 

Par rapport aux efforts globalement demandés, et notamment à France Télévisions, l’INA a été préservé (je pense qu’on ne me démentira pas) et les programmes concernant la construction de ce patrimoine, l’archivage, la numérisation ne seront pas affectés par les décisions budgétaires ; en tout cas, la Commission des affaires culturelles y veillera. C’est une attention que nous devons porter sur l’ensemble du patrimoine audiovisuel.

 

Pour conclure, il existe un paradoxe avec les archives audiovisuelles : par exemple, les historiens qui travaillent sur la Grèce savent que le peu d’éléments patrimoniaux qu’ils ont entre les mains rend difficile leur travail. Tout le monde serait aujourd’hui euphorique de pouvoir assister à une conférence d’Aristote ou de participer à une séance de l’Ecclésia. Aujourd’hui, nous avons cette chance de pouvoir disposer de ce type de traces. En même temps, nous avons l’impression que ce sont des traces très fragiles, beaucoup plus que les traces laissées il y a si longtemps. Les films vidéo qu’on croyait impérissables se trouvent aujourd’hui en très mauvais état de conservation. On ne sait pas encore ce que sera la conservation du numérique, il y a les risques informatiques généralisés (nous sommes dans le domaine numérique et c’est de l’ordre de la possibilité). Pour conserver ces archives, nous devons donc y accorder une grande importance et rester constamment à la pointe extrême des nouveautés technologiques. Quand il s’agit des processus de conservation de l’audiovisuel et du numérique, le moindre moment où la garde serait baissée peut alors provoquer de très grandes déconvenues. Voilà la modeste contribution. »