Dans Le Monde du 05/02/2011 par Patrick Roger

Le gouvernement avait introduit l’extension dans le projet de loi sur l’immigration

C’est net et sans bavures. A gauche, des applaudissements ont salué le résultat du vote, jeudi 3 février au Sénat, qui, par 182 voix contre 155, rejetait l’extension de la déchéance de nationalité prévue dans le projet de loi sur l’immigration. Pour Nicolas Sarkozy, c’est un sérieux revers. C’est lui qui, en juillet 2010, à l’occasion de son discours de Grenoble mêlant sécurité et immigration, avait demandé que la nationalité française puisse être retirée aux personnes d’origine étrangère qui auraient porté atteinte à la vie de tout dépositaire de l’autorité publique.

A sa demande, le gouvernement avait introduit cette disposition dans le projet de loi, en première lecture à l’Assemblée nationale. Le Sénat s’y est opposé. Seul le groupe UMP, sans illusions, a tenté de la défendre. Le ministre de l’intérieur et de l’immigration, Brice Hortefeux, s’était délesté sur Philippe Richert, chargé des collectivités territoriales, de l’ingrate corvée de siéger au banc du gouvernement.

Il lui a fallu essuyer les assauts répétés de la gauche et du centre. Pour le groupe Union centriste, qui détenait les clés du scrutin, Nathalie Goulet (Orne), a rappelé que « c’est le régime de Vichy qui avait eu la funeste idée de s’emparer de la dénaturalisation »« Les vilaines idées font rarement de bonnes lois », a plaidé la sénatrice, assurant que tout son groupe (29 membres), s’opposerait « fermement et solidairement » à cet article.

Bariza Khiari (PS, Paris) a dénoncé le « chiffon rouge » agité à travers cet article, non sans rappeler que ce « scandaleux projet de loi » contient d’autres mesures tout aussi« inacceptables »« Votre texte montre qu’un naturalisé n’est jamais vraiment français, s’est-elle indignée. Pourquoi établir une distinction entre le meurtre d’un policier par un Français dit de souche et le meurtre d’un policier par un Français naturalisé ? Cette différence est contraire à la Constitution. Tous les Français sont égaux devant la loi. »

Pour Nicole Borvo Cohen-Seat (PCF, Paris), « la déchéance de nationalité ne devrait pas exister, elle est antirépublicaine ».

David Assouline (PS, Paris) a fustigé le « symbole » envoyé à travers cet article. « Mais quel symbole ? Qu’il y a deux catégories de Français. Même quand ils sont devenus français, ils ne le sont pas tout à fait. Vous envoyez un signe au Front national en empruntant des éléments de son programme. En reprenant ses slogans, vous vous gourez sur toute la ligne », a-t-il poursuivi, appelant à dresser « un cordon sanitaire républicain ».

« Un Français est un Français »

M. Richert a tenté de relativiser la portée de cet article, en expliquant qu’il ne concernerait qu’« un tout petit nombre de gens » et qu’à ses yeux « tuer un préfet, un gendarme ou un policier est aussi grave que ce qui justifie déjà la déchéance de nationalité ».

En vain. De nouvelles voix se sont élevées pour battre en brèche son argumentation. Alima Boumediene-Thiery (Verts, Paris) a dénoncé « un traitement discriminatoire » entre« Français de souche » et « Français de papiers » « C’est inacceptable. C’est une question de principe : un Français est un Français, un point c’est tout. »

Le gouvernement et les députés de l’UMP souhaiteront-ils à présent réintroduire cette disposition en deuxième lecture à l’Assemblée nationale ? Ils prendraient alors le risque d’essuyer un nouveau refus au Sénat et, ensuite, d’être mis en minorité en commission mixte paritaire. Même si cette mesure symbolique répond aux voeux de M. Sarkozy, bon nombre de parlementaires de l’UMP se demandent si le jeu en vaut la chandelle.