17 septembre 2013

Mesdames, Messieurs,

 Aux termes de l’article 53 de la loi du 30 septembre 1986, les contrats d’objectifs et de moyens des sociétés nationales de programme, ainsi que les éventuels avenants à ces contrats, sont transmis aux commissions chargées des affaires culturelles et des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat et au Conseil supérieur de l’audiovisuel.

 Il est également prévu que les commissions peuvent formuler un avis sur ces contrats d’objectifs et de moyens dans un délai de six semaines.

 Il s’agit d’un exercice particulièrement démocratique qui permet au Parlement d’intervenir dans le dialogue entre les sociétés de l’audiovisuel public et l’Etat actionnaire. Cela est justifié par la place particulière que l’audiovisuel public est susceptible de jouer dans les libertés publiques et j’y suis à titre personnel particulièrement attaché.

 Le Gouvernement a donc transmis au Sénat, le 9 août 2013, un projet d’avenant qui modifie le COM conclu le 22 novembre 2011 pour la période 2011-2015.

 Le délai court selon nous à partir du 10 août dernier, date de la parution de l’information au journal officiel, ce qui nous impose de rendre un avis cette semaine. Cette précipitation est difficile à comprendre, d’autant que la présentation du COM au personnel devrait seulement avoir lieu au mois d’octobre, et aurait même pu,  sans la session extraordinaire, empêcher le Parlement de rendre un quelconque avis.

 Conjointement à la présidente, nous avons donc souhaité déposer un amendement au projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public faisant démarrer le délai d’examen du COM pour avis à l’ouverture de la session. Nous serions donc à l’avenir certains d’être en mesure de donner un avis sur les différents COM et avenants.

 Néanmoins, en dépit des délais très courts dont nous disposions dans une période particulièrement chargée, nous avons souhaité donner notre avis sur le présent avenant au COM de France Télévisions.

 Autant sur la forme, j’ai fait part de mon mécontentement, autant, sur le fond, je considère en effet que cet avenant ouvre une nouvelle ère de transparence et de responsabilité pour l’audiovisuel public.

 Ce COM a des défauts dont nous parlerons. Mais il a deux mérites majeurs :

– il est basé sur des hypothèses de recettes et de dépenses qui paraissent particulièrement crédibles, ni trop ambitieuses, ni sous estimées. C’est à mon sens le principal atout de ce COM, notamment par rapport au précédent, que de s’appuyer sur des données précises et chiffrées qui permettront au débat parlementaire chaque année de réellement faire le bilan de son application. Le budget lui même pourra faire l’objet d’un débat constructif avec des possibilités de suivre l’évolution des données du COM ;

– il fait des choix précis et crédibles pour les deux prochaines années, qui correspondent à la fin du mandat de Rémy Pflimlin. Le COM est donc à la fois concret et pragmatique.

Le COM contient dorénavant 16 objectifs réunis dans trois grands axes :

– fédérer tous les publics par une offre diversifiée ;

– développer une offre de service public, moderne et renouvelée ;

– et faire de l’entreprise commune un modèle d’organisation efficace.

Pour faire simple, le service public a pour ambition d’être une télévision culturelle, populaire, et efficiente. C’est à ce triple enjeu que doit répondre le COM.

I. Parlons d’emblée de la trajectoire budgétaire, qui nous intéresse largement en vue du débat de l’automne.

Le projet d’avenant fait apparaître un plan d’affaires revu à la baisse, qui doit amener le groupe public à proposer une réduction de certains postes de coût pour atteindre l’équilibre en 2015.

S’agissant des ressources, elles sont estimées en 2015 à 2508,5 millions d’euros, soit des ressources inférieures de 320 millions d’euros par rapport au précédent COM. Cela est dû :

– pour 200 millions d’euros à une participation de France Télévisions à l’effort budgétaire auquel sont soumises de nombreuses institutions. Cela correspond à une baisse annuelle de 0,3 % des ressources publiques, ce qui paraît gérable pour le groupe. Il est même relativement préservé par rapport à d’autres acteurs de la culture ;

– cela est dû aussi à des recettes publicitaires en retrait de 100 millions d’euros par rapport aux prévisions construites en 2011. Soyons clairs, cette hypothèse repose sur une progression de 2,1 % par an des ressources entre 2013 et 2015, tant les années 2012 et 2013 ont été catastrophiques. Comme nous l’avons signalé en 2011, le précédent COM était basé sur des sous-jacents très fantaisistes surestimant fortement les recettes publicitaires et la différence de 100 millions d’euros est due à cette prévision invraisemblable et en partie, disons le, aux effets de la loi votée en 2009 <

– enfin, les résultats opérationnels, tels que la gestion des droits, seraient inférieurs de 30 millions d’euros environ en 2015 à ceux précédemment estimés. Il s’agit là de prendre en compte les coûts de la mise en place de la plateforme numérique jeunesse, qui n’était pas prévue dans le COM 2011-2015. Là encore les effets financiers de choix éditoriaux spécifiques sont pris en compte dans le COM de manière précise, ce qui constitue une rupture avec les pratiques précédentes.

Le COM est allé un peu plus loin dans la transparence dans la mesure où l’Etat et France Télévisions ont intégré en son sein les limites de leurs prévisions. Comme il est indiqué à la page 60, « le plan d’affaires repose notamment sur des hypothèses de ressources qui comportent un aléa significatif ». On pense bien évidemment à la publicité, sachant que son maintien en journée est un préalable nécessaire.

Je rappelle à cet égard à l’ensemble des collègues qu’une disposition relative au maintien de la publicité avant 20 heures est présente dans le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public. Les éléments du COM nous rappellent à quel point ces recettes sont effectivement l’un des éléments de son indépendance.

Sur le volet dépenses, les évolutions ne sont pas majeures par rapport au précédent COM sinon qu’un effort de réduction de l’emploi non permanent devrait être mené.  On peut noter que la conclusion de l’accord collectif de France Télévisions en mai 2013 pourrait permettre d’envisager certaines réformes et mutualisation. Dans mon rapport conjoint avec Jacques Legendre sur l’application de la loi de 2009, nous avions vu que la mise en place de l’entreprise unique avait été extrêmement longue et que ses effets étaient pour l’instant plutôt de l’ordre de l’instabilité et de l’inflation des personnels que l’inverse. Ses premiers effets positifs pourraient éventuellement voir le jour dans les deux prochaines années. Cela aura donc aussi forcément des conséquences sur la trajectoire financière du groupe.

Le COM est construit autour d’un retour à l’équilibre net à l’horizon 2015. Je crois que cet objectif pourra être tenu. Je rappelle qu’il était initialement prévu pour 2012 mais que les précédents COM minoraient autant les charges anticipées qu’elles majoraient les recettes.

En dépit de ce réalisme, les signataires du COM reconnaissent qu’ils seront conduits à réexaminer régulièrement les conditions du retour à l’équilibre. En fonction des évolutions constatées, le législateur devra aussi prendre ses responsabilités, notamment dans sa réflexion sur le mode de financement de l’audiovisuel public.

II. Evoquons ensuite la question des programmes du service public, qui l’un des axes du COM

L’investissement minimal annuel dans les œuvres audiovisuelles devrait être ramené à 400 millions pour la période 2013-2015 au lieu des 420 millions prévus à compter de 2012 dans le COM initial.

La diminution de ce seuil ne remet cependant pas en cause l’obligation fixée dans le cahier des charges de réserver 20% du chiffre d’affaires net de l’exercice précédent au développement de la production d’œuvres audiovisuelles. Cette obligation est fondamentale à la fois pour la qualité de la grille de France Télévsions et pour le secteur de la création.

La question du retour sur les investissements dans les œuvres pourra néanmoins se poser. À cet égard, le fait que France Télévisions Distribution soit à l’équilibre alors que cette filiale devrait être bénéficiaire par essence, nous interroge forcément. L’objectif de 3,7 millions d’euros de résultat en 2015 a même été réduit dans le projet d’avenant au COM à 1 million d’euros.

Cela nous conduira certainement à réfléchir encore sur les règles applicables en matière de production.

France Télévisions souhaite également développer la transparence en matière de politique de création, d’une part en formalisant ses attentes et ses prévisions éditoriales a priori, et d’autre part en communiquant a posteriori sur ses réalisations effectives. En contrepartie, le groupe attend le même engagement de la part de ses partenaires producteurs, en particulier sur la réalité des comptes de production et d’exploitation des œuvres. Nous rediscuterons de ce sujet lors du débat sur le projet de loi.

III. Enfin le troisième objectif est de fédérer tous les publics

Sur ce thème, la question de l’avenir de France 4 et de Gulli est particulièrement intéressante. En effet l’enjeu du public jeune doit être au cœur de la démarche du service public, qui doit aussi miser sur son avenir.

Selon le COM, le développement des chaines thématiques contribue à aider le groupe public à capitaliser sur les marques-programmes qu’il a créées et développées. S’agissant de Gulli, on peut se demander si le service public tire vraiment un bénéfice d’image de la marque, même si c’est vrai que les dessins animés circulent bien vers le service public.

Le fait que le groupe public soit minoritaire et que le nom de la chaîne ne rappelle pas le service public ne contribue pas à renforcer d’éventuels effets bénéfiques.

Selon le COM, « ces chaines permettent au groupe de s’ouvrir à de nouveaux publics ou de renforcer sa présence auprès des publics qu’il a du mal à séduire sur ses antennes classiques. L’arrivée de Gulli a ainsi permis au groupe de s’ouvrir encore davantage vers les plus jeunes (7-14 ans) ou les publics parentaux (25/35 ans) ». On aimerait sur ce sujet avoir des éléments beaucoup plus précis, et surtout plus convaincants.

Il apparaît aujourd’hui qu’une réflexion sur la sortie du capital de Gulli pourrait être amorcée, d’autant que le pacte d’actionnaires prévoit que France Télévisions ne peut pas lancer une chaîne enfant en restant dans le capital.

De fait le pari est fait dans le COM de maintenir France 4 comme une chaîne allant des enfants aux jeunes adultes, c’est-à-dire une chaîne jeunesse, avec une offre numérique complémentaire pour les enfants. Cette offre sera structurée selon le COM autour de « l’information et du récit ». Comme le note le CSA dans son avis « les contours de la ligne éditoriale de France restent assez flous et une clarification apparaît nécessaire ».

Je le rejoins pleinement sur ce point, et suis en partie deçu par le manque de précisions sur ce thème qui est important pour l’avenir du groupe.

Il restera au Parlement et éventuellement au CSA d’étudier de près la pertinence et le succès de l’offre numérique tant l’accès des jeunes au service public audiovisuel doit constituer un objectif constant.

Après avoir balayé de manière très rapide les grands axes du COM, je suis obligé de pointer çà et là des insuffisances, c’est un peu le sens de l’exercice qui nous est soumis.

Évoquons très rapidement l’insuffisance de certains indicateurs : pas d’indicateurs par exemple pour la présence du sport féminin, des engagements culturels en-deçà de ce qui est déjà proposé ou encore l’absence d’objectifs de diversité d’audience pour France 3 ou France 4. Ces points ont pu notamment être relevés par le CSA et devraient faire l’objet d’améliorations suite à notre avis et à celui de l’Assemblée.

Mais le plus difficile pour le COM est d’être précis sur les composantes du plan d’affaire. Expliquons nous : un réel effort de transparence a été fait sur les chiffres globaux et les incertitudes les entourant. Mais les coûts de France Télévisions sont globalement séparés en deux grands groupes : le « coût des programmes » (2 milliards d’euros) et les autres dépenses du diffuseur (475 millions d’euros).

Dès que l’on entre un peu plus dans le détail pour savoir comment les données évoluent au sein de ces grands groupes, l’exercice est beaucoup plus difficile.

La tutelle et le groupe sont en effet dans un dialogue qu’ils considèrent tous deux comme étant confidentiels et le COM ne permet pas de remédier à cette difficulté.

C’est l’une des raisons pour lesquelles je vous proposerai dans le projet de loi de donner un avis sur le COM au CSA, qui disposera forcément de moyens importants pour livrer des informations qui devraient être sur la place publique.

Prenons un exemple très technique. Quand un programme est acheté par une chaîne de télévision, la somme correspondante à cet achat n’apparaît en dépenses en comptabilité qu’au moment de la diffusion, même si le paiement a été effectué en trésorerie. France Télévisions, pour finir ses fins de mois en comptabilité, a ainsi tendance à retarder la diffusion de programmes frais et à rediffuser d’anciens programmes. L’ambition culturelle peut ainsi être parfois entièrement soumise aux impératifs comptables.

Nous aimerions ainsi avoir des précisions dans le COM sur le volume du stock de programmes non diffusés ainsi que leur valeur. Dans leur rapport de 2010, Catherine Morin-Desailly et Claude Belot avaient indiqué que la dépréciation des droits acquis était par exemple de 36,9 millions d’euros en 2008 avec un objectif de 15 millions d’euros en 2010. Où en-est-on aujourd’hui sur ce sujet ?

En conclusion, je dirais qu’il ne s’agit pas ici d’un COM d’affichage qui cacherait un autre document dans lequel l’État et France Télévisions indiquerait le montant du déficit effectif. L’objectif d’équilibre projeté en 2015 devrait bien pouvoir être tenu.

Ce COM est honnête, responsable, incomparablement plus réaliste que le précédent, et mérite donc qu’on lui donne un avis favorable.

Il mériterait cependant aussi d’être plus détaillé et d’offrir au Parlement et à nos concitoyens les clés pour comprendre notre audiovisuel public.

Je vous remercie.