Monsieur le Président,

Monsieur le ministre,

Mesdames et Messieurs les Présidents des commissions permanentes,

Chers Collègues,

 

Nous sommes réunis cet après-midi pour la discussion du bilan annuel de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

D’année en année, ce débat est devenu un des temps forts de l’activité de contrôle du Sénat.

Je remercie le Gouvernement d’avoir accepté de l’inscrire à l’ordre du jour de cette dernière séance de la session ordinaire, ce qui témoigne de l’intérêt qu’il y porte.

A l’approche du prochain renouvellement triennal du Sénat, il me donne aussi l’occasion de dresser un rapide bilan des trois premières années d’activité de ma commission.

 

Vous en trouverez les données détaillées dans mon rapport écrit, et vous constaterez que depuis sa mise en place effective en janvier 2012, cette nouvelle commission a beaucoup travaillé !

Partant de rien, elle a inventé ses méthodes de travail, en bonne harmonie avec les commissions permanentes,  avec la Conférence des Présidents et avec le Gouvernement.

Je tiens à souligner le soutien que nous avons trouvé auprès de chacun de nos interlocuteurs naturels,  les Présidents des commissions permanentes, le ministre chargé des relations avec le Parlement ou le Secrétaire général du Gouvernement, qui est son « bras armé » pour toutes les questions d’application des lois.

Finalement, la commission s’est installée sans heurt dans le paysage institutionnel du Sénat, favorisant de nouvelles approches et de nouveaux réflexes que j’ai coutume d’appeler « la nouvelle culture du contrôle et de l’évaluation ».

Comme je l’ai souvent dit à cette tribune, le Parlement, aujourd’hui, ne peut plus se contenter de voter des lois : nous devons aussi contrôler la manière dont ces lois s’appliquent, et vérifier si elles répondent vraiment aux attentes de nos concitoyens.

C’est un enjeu de démocratie, une question de crédibilité de l’action publique et de confiance dans l’institution parlementaire.

En outre, je vois une continuité logique évidente entre la fonction de contrôle et la fonction législative : en faisant le bilan des législations en vigueur, nous pouvons identifier leurs faiblesses ou leurs lacunes, et envisager les améliorations nécessaires.

De ce fait, le contrôle débouche de lui-même sur une amélioration de notre environnement normatif, que nous essayons de rendre plus simple, plus lisible et plus proche des besoins réels.

 

Certes, nos moyens de contrôle sont limités, par rapport à d’autres assemblées, comme le Sénat américain.

En France, c’est le Gouvernement qui dispose des moyens matériels et politiques du contrôle.

C’est un des paradoxes institutionnels de système de la  cinquième République : les assemblées sont obligées de demander au Gouvernement les moyens et les informations qui leur sont nécessaires pour exercer leur contrôle…

Par ailleurs, la recherche de la qualité de la législation ne doit pas faire tomber dans le travers inverse, qui consisterait à évaluer cette qualité uniquement sur un critère de « performance normative ».

Le critère qui définit une bonne loi dépend avant tout de la perception politique de chacun.

Il est de la nature de la loi et de l’action du Parlement d’exprimer des projets politiques et des options de société qui seront déclinés en textes juridiques au service d’une politique publique.

Au Parlement de trouver la meilleure voie entre une démarche trop strictement politique – dont la qualité juridique pourrait pâtir – et une approche trop technique, qui limiterait l’expression des choix politiques.

 

Pour en venir au bilan annuel de l’application des lois – dont vous trouverez les statistiques détaillées dans mon rapport écrit – je retiendrai quatre grandes tendances.

 Une production législative soutenue : sur la période de référence, 50 lois ont été promulguées (hors conventions internationales), soit un haut niveau d’activité législative durant cette première année pleine du quinquennat.

Sur ces 50 lois, 19 lois sont issues de propositions de sénateurs ou de députés, soit presque 40 % de législation d’initiative parlementaire.

Le Sénat, avec 11 propositions de loi, a été l’an dernier à l’origine de plus d’une loi sur cinq.

La montée en puissance de l’initiative parlementaire est un des effets positifs de la révision constitutionnelle de juillet 2008 : ils sont trop rares pour qu’on ne le signale pas !

 Les pourcentages de mise en application des lois se sont maintenus cette année au niveau élevé de l’exercice précédent.

Pour faire simple, retenons cet indicateur : le taux global de mise en application des mesures législatives adoptées en 2012-2013 atteint 64 %, soit deux à trois fois plus que ceux constatés jusqu’en 2010.

L’application des lois a été une priorité forte des deux derniers

Gouvernements, nous devons leur en donner acte.

Dès son entrée en fonctions, le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait confirmé l’objectif posé en 2008 – mais rarement respecté jusque là – de faire paraître les décrets d’application des lois nouvelles dans un délai maximum de six mois.

Quant au Gouvernement de Manuel Valls, vous nous avez indiqué en commission, Monsieur le ministre, que le cap serait maintenu.

 

 Si on raisonne en nombre de lois, et non plus en nombre de mesures, on constate que 90 % des lois de la session 2012-2013 sont en application partielle ou totale.

 Enfin, sur l’ensemble des textes de la XIVème législature

– c’est-à-dire ceux de l’actuelle majorité – la pente est la même : déjà 88 % de lois en application partielle ou totale, même s’il est biens sûr trop tôt pour en tirer des enseignements définitifs.

Au final, on n’est pas encore aux 100 % que le Parlement serait en droit d’attendre,  mais ces résultats traduisent une réelle prise de conscience : aujourd’hui, plus personne n’accepterait les taux calamiteux des années précédentes.

Je suis convaincu que la création de la commission a favorisé cette

évolution, car elle a porté la question de l’application des lois dans le débat politique, ce qui a mis le Gouvernement sous pression.

Un bilan positif, donc, mais où on relève pourtant quatre éléments moins favorables :

 

 Tout d’abord, la mise en application des textes issus de l’initiative parlementaire est  moins  bonne que celle des  textes  d’origine gouvernementale,  notamment pour ce qui concerne les amendements.

Circonstance  aggravante : le  Gouvernement  montre  plus d’empressement pour les textes de l’Assemblée nationale que pour ceux du

Sénat…

Cette année, les taux  atteignaient respectivement 67 % pour les amendements du Gouvernement,  48 % pour ceux de l’Assemblée et seulement 24% pour ceux du Sénat…

 

 L’application des lois votées selon la procédure accélérée n’a pas

été plus rapide que celle des autres lois : alors, à quoi bon imposer au

Parlement des cadences rapides si l’urgence invoquée en amont bute, en aval, sur des délais incompressibles ?

 

 Le taux de mise en application du « stock ancien » – c’est-à-dire des lois antérieures à 2007 – végète, sans aucun progrès notable.

On peut comprendre qu’un Gouvernement, quel qu’il soit, n’ait pas dans ses priorités la mise en application de lois issues d’une autre majorité parlementaire,  Mais  cela  condamne  certaines  lois  aux oubliettes réglementaires, au mépris de la décision du Parlement…

Sur le plan des principes, je trouve choquant que des lois puissent rester inappliquées pendant des années et finissent par devenir obsolètes.

Les citoyens ont un droit à demander que la loi s’applique. Sinon, qu’on l’abroge.

 

 Enfin, on constate aucun progrès significatif dans la remise des rapports d’information : cette année encore, beaucoup des rapports attendus n’ont pas été présentés, et ceux qui l’ont été n’apportaient pas toujours des informations très exploitables.

Ce constat vaut aussi bien pour les rapports à présenter en vertu d’une disposition législative ponctuelle, que pour les rapports dits « de l’article 67 »,  dans lesquels le Gouvernement doit faire le point sur la mise en application de toute loi nouvelle six mois après sa promulgation.

Monsieur le ministre, j’avais déjà attiré l’attention de votre prédécesseur sur cette question l’an dernier, et vous avez reconnu, lors de votre audition, qu’elle reste un point faible sur lequel nous devons réfléchir de concert.

 

Car les parlementaires ont une part de responsabilité dans cette situation : nous demandons trop de rapports, souvent comme « lot de consolation » en échange du retrait d’un amendement.

Ma conviction est que nous devrions demander moins de rapports,  et mieux tirer parti des ceux qui nous sont remis.

De son côté, le Gouvernement doit être plus vigilant sur la présentation en temps utile des rapports de l’article 67, et veiller à ce que les informations produites soient réellement utiles au contrôle du Parlement.

 

Quittant maintenant le terrain des statistiques, j’en viens à quelques considérations plus générales sur l’amélioration de l’environnement normatif, dont j’ai rappelé l’importance au début de mon propos.

Chaque pas dans cette direction renforcera la confiance dans l’institution parlementaire, et en particulier dans le Sénat, moins tenu par la logique majoritaire que l’Assemblée nationale.

A cet effet, nous devons d’abord renforcer l’efficacité des procédures existantes, pour que nos pratiques et le suivi de nos actions de contrôle débouchent sur des améliorations de la législation en vigueur.

J’ai formulé dans mon rapport écrit plusieurs propositions concrètes, notamment pour tirer un meilleur parti des questions parlementaires et de leur suivi au service de l’application des lois.

Vous nous avez indiqué, Monsieur le ministre, que vous étiez prêt à vous joindre à cette réflexion en relayant les « alertes » que ma commission pourrait désormais tirer si une question écrite concernant l’application d’une loi n’a pas obtenu de réponse dans les délais requis.

C’est un des chantiers concrets sur lesquels nous pourrons travailler dès la prochaine rentrée parlementaire.

 

Je préconise également de mieux réguler la pratique du renvoi à un décret en Conseil d’État, qui est une des causes de l’engorgement du processus réglementaire.

Dans la plupart des cas, on obtiendrait les mêmes garanties par un renvoi à un décret simple, voire pas de renvoi du tout…

Par ailleurs, mon rapport retrace différentes mesures prises cette année par le Gouvernement ou par le Parlement pour rendre le circuit normatif plus performant, avec par exemple la généralisation de la « règle du un pour un » (une norme créée = une norme supprimée) destinée à endiguer l’augmentation du stock des textes en vigueur, déjà beaucoup trop important.

Dans cet ensemble, je voudrais souligner certaines mesures prises cette année afin de faciliter le dialogue normatif entre l’État et les collectivités territoriales. Elles font écho aux souhaits exprimés par les États généraux de la démocratie territoriale, réunis l’an dernier à l’initiative du Président

Jean-Pierre Bel.

Nous le savons tous, les collectivités territoriales rencontrent de grandes difficultés dans la mise en œuvre des normes, surtout les petites et moyennes communes.

Les dernières municipales ont révélé le caractère délétère de ce « choc de complication »… : d’après une statistique récente, la moitié des maires sortants qui ne se sont pas représentés aux municipales de 2014 auraient justifié leur renoncement par les pesanteurs administratives…

Il faut donc saluer la création, à l’initiative du Sénat, d’un Conseil national en charge de l’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales, issu d’une proposition de loi présentée en 2012 par nos deux collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur.

C’est une réponse pragmatique au problème de l’excès de normes, aussi bien les normes nouvelles, que le stock des normes en vigueur.

 

Il a également été institué un médiateur spécialisé pour faciliter le dialogue normatif entre l’administration et les collectivités, fonction qui vient d’être confiée à notre ancien collègue, Alain Lambert.

 

Pour conclure, j’ai le sentiment que la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a bien rempli son mandat, surtout si on considère les faibles moyens humains et techniques dont elle est dotée…

Ce travail n’aurait pas pu s’effectuer sans le soutien des commissions permanentes, déjà largement occupées par leurs propres travaux législatifs et de contrôle. Je tiens à les en remercier.

Pour autant, je crois que si nous voulons continuer de renforcer le contrôle parlementaire – comme nous y invite la révision constitutionnelle de 2008- nous nous pourrons pas faire l’économie d’une réflexion sur nos méthodes de travail.

Nous ne pouvons pas continuer de sur-encombrer un calendrier parlementaire déjà bien trop chargé.

Comme j’en ai fait part à ma commission, une première piste serait qu’à l’avenir, le Sénat et l’Assemblée nationale travaillent en coordination plus étroite, pour éviter les doublons.

C’est l’un des autres chantiers sur lesquels nous devrons travailler l’an prochain.

Pour l’heure,  la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, capitalisant l’expérience acquise par le Sénat depuis quatre décennies, est fière d’avoir activement contribué, depuis sa mise en place  en 2012, au développement au Sénat de la culture du contrôle et de l’évaluation.