Article Libération du 16/11/09

CUMUL Le sénateur PS David Assouline dépose une proposition de loi pour interdire aux groupes vivant de commandes publiques de détenir télés et journaux.

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David Assouline estime qu’avec le paysage médiatique actuel, la présidentielle de 2012 sera biaisée.

David Assouline, 50 ans, est sénateur PS. Il présentera demain une proposition de loi d’initiative parlementaire «visant à réguler la concentration dans le secteur des médias». Jeudi, les députés PS déposeront une loi identique. C’est-à-dire faire en sorte que les groupes vivant de commandes étatiques ne puissent détenir un journal ou une télé. Visés : le groupe de travaux publics Bouygues, qui détient TF1 ; Lagardère (JDD et Europe 1) et son activité d’aéronautique et de défense ; Dassault (le Figaro) qui vend des avions à l’Etat. Libération a eu la primeur de cette loi. Votre proposition de loi veut «interdire le cumul de l’activité d’éditeur dans les médias avec celle d’entrepreneur agissant dans le cadre de la commande publique».

Vers qui faut-il suivre votre regard ?

Si on regarde le paysage médiatique, on a un empire du BTP qui est dans ce cas-là et pas mal de marchands d’armes. Très clairement, il y a Bouygues et TF1, Dassault et le Figaro, Lagardère…

Pourquoi ces groupes ?

Je veux affirmer un principe. On s’est battus pour la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et là, nous avons un pouvoir moderne émergent: les médias. On doit garantir la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias. Ce n’est pas possible que les plus grands groupes de médias qui influent, voire façonnent, l’opinion aient ce lien incestueux avec des entreprises qui dépendent de la commande publique. Ça vaut pour la droite, mais aussi pour la gauche. Le seul argument que m’oppose la droite, c’est «vous devez faire confiance aux journalistes». Mais on est au pays des Bisounours, là ! Ce n’est pas soupçonner les journalistes que de leur donner les moyens de résister aux pressions. Je sais que c’est audacieux et compliqué mais c’est ça, aussi, la différence entre la gauche et la droite.

Bien sûr, à travers eux, c’est un intime des patrons de ces groupes, Nicolas Sarkozy, que vous visez…

C’est d’abord un combat de principe, mais avec Nicolas Sarkozy, c’est encore plus grave : ce sont des amis qui le soutiennent politiquement et publiquement. Il y a aujourd’hui une démocratie qui souffre. Prenez l’exemple des caricatures de Mahomet que Denis Jeambar , al or s di recteur de l’Express, a publiées. Mais Serge Dassault, qui détenait le magazine, l’a appelé la veille en lui demandant de ne pas le faire car le président de la République partait vendre ses Rafale en Arabie Saoudite. Et dans l’affaire des sondages de l’Elysée [Libération du 6 novembre, ndlr], comme par hasard, c’est sur LCI et dans le Figaro qu’ils sont publiés…

Quel est le but d’une telle proposition de loi, puisqu’elle n’a que très peu de chances d’aboutir ?

C’est le combat de l’opposition, on fait notre boulot. Dans cette démocratie radieuse où le gouvernement décide de l’ordre du jour du Parlement, nous avons quelques niches et je suis honoré que, parmi ces miettes, le PS ait décidé de reprendre mon idée. C’est un débat de société et un enjeu démocratique énorme: la campagne électorale de 2012, avec un Sarkozy candidat et des médias dans cette situation-là, sera biaisée.

Donc, si vous revenez au pouvoir, vous proposerez cette loi…

C’est un engagement si la gauche arrive au pouvoir, je me battrai avec opiniâtreté pour faire appliquer cette loi.

En 1998, Catherine Trautmann avait dû revoir considérablement et édulcorer une loi semblable…

Je ne dis pas que l’influence de ces grands groupes va cesser sitôt l’arrivée de la gauche au pouvoir. Ma loi appelle à la discussion, je me suis concentré sur la commande publique, mais il y a d’autres aspects. Je pense aux regroupements gigantesques qui s’opèrent dans la PQR [presse quotidienne régionale, ndlr] : il faut pouvoir garantir l’indépendance des rédactions.

Avez-vous tenté de rassembler autour de votre proposition de loi les sénateurs communistes, ou encore Jean-Luc Mélenchon?

Non, mais je pense qu’ils voteront cette loi. C’est un enjeu qui dépasse la gauche et je serai extrêmement attentif à l’attitude du Modem.

Au Parlement, la gauche s’est beau- coup battue sur l’audiovisuel public ou sur Hadopi. Les médias sont-ils devenus un thème porteur?

Porteur ou pas, si je pense que c’est fondamental, je me battrai quand même, je ne suis pas un vendeur de dentifrice. Quand on regarde le sondage annuel sur la confiance des Français envers les journalistes, il y a une défiance très inquiétante. Ça veut dire que les Français ne sont pas dupes. Mais j’ai peur qu’on en vienne à relativiser les informations, qu’on en vienne à douter. C’est le système qui crée le doute, pas les journalistes qui travaillent dans ce système. Il faut se battre pour l’accès aux archives, pour le secret des sources. Il faut un statut européen de l’entreprise de médias à but non lucratif.

Vous estimez-vous maltraités par les médias, au PS ?

Très clairement oui. Notre seule arme, c’est de nous battre. On l’a fait auprès du CSA, auprès du Conseil d’Etat pour que le temps de parole présidentiel soit pris en compte. Mais regardez le paysage audiovisuel et celui de la presse ! Et ça s’ajoute à ce qui s’est passé dans l’audiovisuel public avec la nomination et la révocation des présidents par Nicolas Sarkozy. •

Recueilli par RAPHAËL GARRIGOS et ISABELLE ROBERTS – Photo SÉBASTIEN CALVET