Interventions PJL Asile et immigration

Mardi 19 juin 2018 – jour 1

Amendement 404 rectifié

M. David Assouline. Je veux, à travers cet amendement, m’adresser à l’ensemble de mes collègues pour qu’ils mesurent, à ce moment de notre discussion sur ce projet de loi, l’état du monde et notre responsabilité.

Nous vivons un moment où, sur les questions liées à l’immigration, des politiques dangereuses sont menées : que ce soit aux États-Unis, où les enfants sont séparés de leurs parents et enfermés dans des cages, en Italie, ou dans toute l’Europe de l’Est, cela sent très mauvais !

Alors, par rapport à ce danger raciste et populiste qui déferle, semble tout submerger et nous rappelle des moments sombres, on peut faire le choix qui s’exprime dans ce projet de loi. Telle est la position du Gouvernement, telle est la position de la droite de cet hémicycle, qui va encore plus loin, mais c’est vous tous, mes chers collègues, que je veux interpeller : face à ce danger, être plus ferme, est-ce le rempart ?

Pour nous protéger, il faudrait accepter de verser dans ce flot d’explications selon lesquelles ces migrations, ces réfugiés représenteraient un danger. Cela fait vingt ans qu’on fait la même chose : presque tous les deux ans, on vote une nouvelle loi parce qu’on nous dit que, pour empêcher la montée du Front national, il faut fermer ! Or il continue de monter, et notre législation ne cesse de se durcir.

Alors, mes chers collègues, je vous interpelle tous, car nous avons une responsabilité très importante. Nous savons que nous entrons dans un moment où tout peut basculer. Or quand l’Espagne fait ce qu’elle a fait cette semaine, elle allume une bougie, elle met un rayon de soleil dans cette Europe qui peut sombrer dans la nuit !

C’est pourquoi, à l’inverse de tous les propos que j’ai pu entendre, je veux défendre cet amendement, qui vise au contraire à consacrer, en un article additionnel, les droits fondamentaux inaliénables des migrants et des réfugiés accueillis dans notre pays.

Avis défavorables de la commission et du gouvernement.

M. David Assouline. C’est paradoxal : les amendements exprimant de bonnes intentions, ou des intentions humanistes, mériteraient d’être retirés !

Lors de nos débats sur l’avenir de la SNCF, j’ai pu entendre qu’il n’était pas du tout question, dans le texte en question, de remettre en cause le caractère public de cette entreprise. Néanmoins, en fin de compte, comme il y avait des doutes, ce caractère public a été inscrit dans la loi.

Nous sommes ici dans une situation identique. Il existe un socle de droits fondamentaux, inaliénables pour tous ceux qui vivent sur notre territoire, qu’ils soient étrangers ou Français. Je les ai répertoriés dans cet amendement, car il est bon de les rappeler. On peut certes débattre de cette liste, mais le respect de la dignité humaine de tout être humain qui vit sur le territoire de la République, quelle que soit sa nationalité, est essentiel. Ce socle existe aujourd’hui dans différents textes ; il n’est pas inutile, selon moi, de le ramasser à un seul endroit pour affirmer que, quelles que soient les discussions que nous aurons aux autres articles sur le reste des enjeux, ce socle demeure comme l’expression de la dignité humaine que la République reconnaît à tous ses habitants.

Cela est d’autant plus utile que, comme je l’ai rappelé dans ma présentation de l’amendement, nous ne sommes pas à un moment anodin. Or ma démarche exprime pleinement la position traditionnellement prise par la France dans le monde quand il s’agit d’enjeux aussi importants pour l’humanité.

En réaction à l’absence notable de la droite dans l’hémicycle

M. David Assouline. Puisque nous allons passer au vote dans quelques instants, je souhaite ne pas banaliser ce qui se passe depuis tout à l’heure.

Au moment même où nous discutons de ce projet de loi – la ministre et le rapporteur ont souligné l’importance de nos débats –, le ministre de l’intérieur italien déclare : « Nous avons besoin d’une épuration de masse, rue par rue, quartier par quartier. »

Ce que nous faisons ici est donc important et va rester dans l’histoire du débat public de notre pays, car ce qui se passe en Europe et dans le monde est très grave et doit tous nous interpeller. Or les membres de la majorité sénatoriale, qui disent pourtant accorder de l’importance au sujet dont nous débattons, ne sont pas capables de mettre à l’honneur le Sénat en étant suffisamment nombreux dans l’hémicycle. Quant au groupe qui soutient le Gouvernement à l’origine de ce texte de loi, même s’il est ce qu’il est au Sénat, il compte seulement deux sénateurs présents. Le bruit ne peut pas compenser l’absence !  Avant de voter, je veux donc souligner que nous devons prendre ce que nous faisons au sérieux. Nous parlons de vies humaines, d’attentes, de délais qui vont décider du destin d’un certain nombre d’êtres humains que nous voulons ou non accueillir dans notre pays. Il me semble que cela mérite vraiment que vous soyez présent.e.s dans l’hémicycle.

Explications de vote

M. David Assouline. Madame la ministre, justement, avez-vous entendu la déclaration des ministres de l’intérieur allemand, autrichien et italien, qui ont osé parler d’« axe » – ils osent le mot ! – sécuritaire face à l’immigration ? J’espère qu’on n’en arrivera jamais là.

Nous parler de l’Europe sur cette question n’est pas un argument : il ne faut pas essayer de ressembler à ces pays européens qui proposent une régression. Car il s’agit d’une régression !

Mon collègue Jean-Yves Leconte l’a déjà expliqué en détail : la régression, c’est aussi la loi elle-même, qui mélange asile et immigration, ce qui ne s’était jamais vu dans un texte de loi. Et pourtant, on a connu des alternances entre gauche et droite ces dernières années !

Vous le constatez comme moi, de tels débats n’étaient même pas envisageables il y a encore dix ou douze ans quand la droite était au pouvoir.

Il y a toujours eu des consciences, sur toutes les travées de cet hémicycle, qui auraient évidemment pointé le fait qu’on ne peut pas mettre les questions d’immigration et d’asile dans le même pot, qu’on ne peut pas traiter ces sujets en se demandant simplement quels moyens mettre en œuvre pour se défendre par rapport à cette déferlante… Aujourd’hui, ça passe inaperçu !

C’est la même chose pour tout, pour le délai de rétention dont on va bientôt discuter, par exemple. Je me rappelle que, au moment de l’examen de la loi Hortefeux-Besson, ce sont des sénateurs siégeant sur les travées de droite qui se sont demandé à quoi servait l’allongement de la durée maximale de rétention à 45 jours puisque, au bout de quinze ou seize jours, les demandeurs d’asile se retrouvaient dehors. Finalement, la disposition a été votée après une longue bataille. Mais en tout cas, ça n’était pas passé tout seul.

Tandis qu’aujourd’hui, on en est à défendre le délai de 45 jours de rétention, parce que vous voulez le faire passer à 90 jours !

Dans tous les domaines, on a cherché à relever un défi, toujours plus difficile, en estimant que la meilleure manière de se protéger était de fermer. En réalité, c’est l’inverse qui se produit : tous les jours, on régresse de plus en plus, alors que le populisme et le racisme continuent de monter !

Explications de vote sur l’amendement présentée par Laurence Rossignol visant à établir que ne peut être considéré comme un pays d’origine sûr pour les femmes celui dans lequel le recours à l’avortement est passible de sanctions pénales :

M. David Assouline. On peut même aller plus loin dans ce débat sur les pays sûrs, parce que la situation n’est pas statique : on va devoir se demander très vite, madame la ministre, monsieur Bas, nous tous, mes chers collègues, si les pays européens sont réellement sûrs.

Vous avez probablement entendu parler de certains faits en provenance de Pologne, de Roumanie, de Hongrie et maintenant d’Italie. Ce ne sera pas seulement la question de l’avortement qu’on aura à traiter en fonction de nos principes, mais beaucoup d’autres sujets : par exemple, les libertés fondamentales et les libertés publiques, qui paraissaient tout à fait évidentes dans le cadre européen, tel qu’il existait, et auxquelles on est en train de porter atteinte.

Si nous restons complètement muets sur le sujet, si on n’en débat pas, on va devoir fermer les yeux sur les potentielles dérives qui se dérouleront dans pas mal de pays européens. Je le répète, il était impensable d’entendre les dirigeants d’un pays fondateur de l’Europe – je parle de l’Italie – dire un jour qu’il faut épurer chaque rue et chaque quartier et généraliser le recensement des Roms ! Cela ne choque pas certains collègues, mais je sais que la majorité de cet hémicycle est choquée par ce que je dénonce !

Il faut donc garder un œil sur la dynamique actuelle. La question que pose Mme Rossignol au travers de cet amendement se posera de nouveau, et de façon beaucoup plus aigüe encore, sur d’autres sujets si on ne les aborde pas du point de vue de M. Leconte, c’est-à-dire sous l’angle d’une individualisation du traitement des dossiers.

Mercredi 21 juin – 2ème jour d’examen du PJL

Explications de vote sur un amendement du groupe socialiste visant à donner au directeur général de l’OFPRA compétence pour suspendre, en cas d’événement soudain et d’une portée particulière dans un pays, l’inscription de ce pays de la liste des pays d’origine sûrs :

M. David Assouline. La liste des pays d’origine sûrs concernait jusqu’à présent des pays extérieurs à l’Union européenne. Mais, et M. Karoutchi l’a souligné, il s’est passé beaucoup de choses dans le monde depuis trois ans. Il est important de donner plus de souplesse au dispositif, comme le propose M. Leconte, en accordant cette compétence au directeur général de l’OFPRA, car il faut trouver une solution.

M. Karoutchi nous dit qu’il ne votera pas ces deux amendements parce qu’il n’est pas possible, selon lui, de réviser la liste tous les six mois. Il acte donc le fait que, dans un moment mouvant où les choses peuvent aller très vite, des réfugiés seront sacrifiés alors qu’ils viennent de pays qui, manifestement, ne sont plus sûrs du tout !

On fait donc une impasse. Quoi qu’il en soit, le problème ne fera que croître avec ce qui est en train de se passer en Europe, et dont j’ai fait état hier : le ministre de l’intérieur italien demande le recensement général des Roms et veut faire procéder à une épuration de masse, rue par rue ! 

Certains pensent qu’il ne faut pas critiquer ce genre de propos parce qu’ils font partie du débat démocratique… 

l’intérieur italien, pas de vous ! Si vous vous sentez solidaires avec lui, les bras m’en tombent !

Donc je continue, puisque j’ai la parole.

Ma question est très précise et concrète, car la liste peut dorénavant concerner des pays d’Europe. Si les propos du ministre de l’intérieur italien se concrétisent et que les Roms se trouvent expulsés d’Italie, quid s’ils demandaient l’asile en France ? L’Italie est-elle est un pays sûr ? Devons-nous les y renvoyer ? J’aimerais que l’on ait des réponses concrètes face à une situation mouvante.

Nous ne sommes pas dans l’idéologie, il s’agit ici d’un cas concret.

Il est essentiel de trouver une solution pour pouvoir traiter individuellement les cas de demande d’asile de façon convaincante, car la situation de certains pays peut basculer brutalement.

Explications de vote sur un amendement du groupe socialiste visant à supprimer trois cas au sujets desquels l’OFPRA peut statuer en procédure accélérée :

M. David Assouline. Je le dis d’emblée, cet amendement vise à supprimer trois cas au sujet desquels l’OFPRA peut statuer en procédure accélérée, en raison des difficultés que ces derniers soulèvent. Le groupe socialiste avait défendu des amendements similaires lors du débat qui avait eu lieu en 2015, sous le précédent gouvernement, que nous soutenions, mais avec lequel nous n’étions pas d’accord sur cette question. Nous n’avions pas réussi à convaincre, mais, forts de cette expérience, nous espérons y parvenir aujourd’hui.

Le premier cas concerne le demandeur d’asile qui a présenté de faux documents d’identité ou de voyage, ou fourni de fausses indications en France afin d’induire en erreur les autorités, ou qui a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes. Or, vous le savez, une personne contrainte de fuir – c’est de ça qu’il s’agit ! – pour échapper à des persécutions quitte le plus souvent son pays de façon précipitée et sous une fausse identité. Lorsque les persécutions émanent de son État ou sont tolérées par celui-ci, les possibilités de sortie légale du territoire sont le plus souvent impossibles. Le demandeur d’asile arrive sur le territoire français de façon irrégulière. Quant à la présentation de demandes d’asile sous des identités différentes, la Cour européenne des droits de l’homme a récemment condamné la France en considérant que cet élément ne discréditait pas l’ensemble des déclarations du demandeur d’asile.

Les deuxième et troisième cas englobent la quasi-totalité des contentieux. Si nous acceptons de conserver la procédure accélérée, les contentieux seront pratiquement tous traités par un juge unique, sans les droits ouverts par la procédure normale. Ce qui risque de se passer, c’est que l’exception devienne la norme, puisque ce ne seront plus des exceptions.

Aujourd’hui, les contradictions dans le récit sont, par exemple, l’une des raisons pour lesquelles les demandes sont souvent rejetées.

Explications de vote amendement 200 :

M. David Assouline. Dans son avis, M. le ministre de l’intérieur ne s’est pas exprimé sur chaque amendement ; il a répondu en exposant une philosophie globale.

L’objectif affiché de ce projet de loi serait d’accélérer les procédures en matière d’asile, de manière notamment à faciliter la vie des demandeurs, la durée de traitement des demandes les plaçant parfois dans une situation inextricable. L’objectif est louable. Mais, en dépit de vos propos et de l’affichage public, monsieur le ministre d’État, l’objectif réel est bel et bien de rendre les choses un peu plus difficiles pour ceux qui veulent venir en France, en restreignant leurs droits, pour dissuader les migrants de choisir notre pays.

Si les moyens accordés à l’examen des demandes d’asile restent en l’état, les délais exploseront. On parle de réduire le délai d’examen à 90 jours, mais, avec les moyens dont on dispose aujourd’hui pour traiter les dossiers, on ne tient même pas le délai de 120 jours ! Je vous renvoie à l’écart entre l’objectif cible et la réalité qu’on a constaté en 2017.

Vous affichez des délais toujours plu   s courts. Dans cette course, le Front national est en tête, qui propose un délai de 20 jours.

Depuis des années, la tendance, en matière d’asile, est la même : on réduit les délais de recours et d’examen des dossiers ; on augmente la durée de rétention pour les migrants en situation irrégulière.

Cette course perpétuelle à la réduction des droits ne réglera pas le problème. Vous le savez, les délais ne diminueront que lorsqu’on aura donné à l’OFPRA les moyens d’étudier tous les cas, dans des délais beaucoup plus rapides qu’aujourd’hui.

Intervention sur l’article 5

M. David Assouline. Je voudrais dire à M. Karoutchi, qui se pose en défenseur de l’OFPRA dans cet hémicycle, que c’est une institution à laquelle on a demandé beaucoup, dans un contexte où elle est plus sollicitée que par le passé. Elle travaille remarquablement, et nous ne pouvons que nous louer de la disponibilité de sa direction pour répondre aux questions des parlementaires. Sa position est difficile, car elle est chargée d’appliquer des dispositions qu’elle n’élabore pas. Laissez-la de côté dans ce débat.

Personne ici n’accuse l’OFPRA ! Nous disons simplement que la réduction des droits et des délais ne facilitera pas son travail. Je n’ai d’ailleurs jamais entendu l’OFPRA demander aux parlementaires de restreindre les droits et les procédures afin de lui faciliter la tâche.

En réalité, l’OFPRA ne dispose pas des moyens humains nécessaires pour faire face à l’accroissement du nombre des demandes d’asile attendu pour les prochaines années compte tenu de l’instabilité du monde.

Je vous donne deux rendez-vous, mes chers collègues : lors du vote du budget, nous verrons qui veut donner à l’OFPRA les moyens d’instruire les demandes d’asile de façon rapide et digne ; lors de l’évaluation du dispositif, nous verrons si les procédures que vous vous apprêtez à voter auront permis de renforcer son efficacité.

Intervention sur l’article 6

M. David Assouline. Monsieur le ministre d’État, c’est toute la philosophie de votre projet de loi que nous contestons. Nous ne pouvons nous résoudre à accepter que l’objectif de la France, aujourd’hui, soit de dissuader les migrants de rejoindre son territoire.

Nous nous étions plutôt enorgueillis, jusqu’alors, d’être un pays d’accueil et d’avoir cette réputation dans le monde. Nous nous félicitions que les personnes persécutées considèrent que c’est en France qu’elles seraient le mieux traitées.

Or aujourd’hui on ne parle pas des moyens ; on se borne à dire : « Surtout, ne venez pas chez nous ! »

On lance des chiffres pour faire peur. Le sujet n’est pas de savoir si la France est le deuxième ou le premier pays d’Europe pour le nombre de demandes d’asile déposées. Nous devons l’asile aux personnes qui remplissent les conditions requises. Dans cette perspective, il faut que les procédures leur permettant de faire valoir leurs droits, d’argumenter, de convaincre soient praticables. Quinze jours pour former un recours, ce n’est franchement pas assez !

Parlons des moyens : un rapporteur de la CNDA doit traiter 300 dossiers dans l’année, soit à peu près un dossier par journée de travail. Il doit instruire, parfois passer des heures sur un détail, vérifier des faits. Déjà les magistrats de la CNDA nous disent qu’ils n’y arrivent pas, que c’est de l’abattage ! Vouloir réduire le délai de recours à quinze jours, c’est méconnaître la réalité : la CNDA n’a pas les moyens d’instruire de façon correcte les dossiers dans ces conditions. Qui va s’en sortir ? Ceux-là mêmes que vous voulez combattre, monsieur le ministre d’État, c’est-à-dire ceux qui sont dans les mains de gens ayant les moyens de les aider… En revanche, les personnes de bonne foi resteront sur le carreau, faute de moyens.

Explications de votes sur un amendement du groupe CRC visant à faciliter les démarches des demandeurs d’asile en leur donnant deux mois pour former un recours,  à rebours de la réduction du délai de recours prônée par le gouvernement :

M. David Assouline. Pour justifier sa position sur tel ou tel sujet, M. le ministre d’État ne manque jamais d’évoquer avec gravité la nécessité de remédier à la situation comme il propose de le faire, sauf à conduire le pays dans une impasse et à l’exposer à des dérives.

Vous pensez, monsieur le ministre d’État, que c’est l’existence d’une pression migratoire et l’afflux de réfugiés qui font basculer certains pays, comme l’Italie, vers des solutions parfois quasi fascistes ou s’y apparentant, comme en Autriche, en Pologne, en Hongrie ou aux États-Unis, où l’on peut séparer des enfants de leurs parents et les mettre dans des cages… Nous ne sommes pas d’accord avec cette analyse ! L’exaspération des gens, nous le savons, tient au chômage, aux difficultés de la vie quotidienne, à l’entassement dans des cités-ghettos, à tout un ensemble de causes économiques et sociales. Mais certains responsables politiques, certains éducateurs de la Nation rendent l’autre, l’étranger, responsable de tous les maux. C’est ce que ne cesse d’asséner le Front national depuis trente ans. S’il progresse, ce n’est pas parce qu’il dit la vérité ! Par conséquent, arrêtez de lui donner raison !

Il y a des réfugiés, il y a des guerres, il y a de la misère, il y a un dérèglement climatique !

Quand Nicolas Sarkozy faisait voter une nouvelle loi sur l’immigration tous les deux ans, cela a-t-il permis de faire reculer le Front national ? Pensez-vous sérieusement que le vote du présent texte résoudra tous les problèmes ? Arrêtez de faire peur aux gens ! Si l’on répartissait les réfugiés sur tout le territoire de ce pays de 66 millions d’habitants, on pourrait les accueillir dignement !

Explications de vote sur l’amendement n°351 du groupe socialiste

Aujourd’hui lorsqu’une personne dépose une demande d’asile en France après que ses empreintes ont été enregistrées dans EURODAC dans un autre pays de l’Union européenne, elle est « dublinable ». Cet amendement proposais de distinguer à l’avenir deux cas :

  1. Dans celui où la personne aurait déjà déposé, auparavant, une demande d’asile dans un autre État de l’Union européenne et aurait été définitivement déboutée, elle resterait « dublinable » au sens actuel du terme. Il serait bon toutefois que, à l’avenir, les procédures de demande d’asile des différents pays soient équivalentes et reconnues dans l’ensemble de l’Union européenne.
  2. En revanche, dans le cas où une personne demanderait l’asile en France après être entrée irrégulièrement dans l’Union européenne via un autre pays sans y avoir déposé une telle demande, nous proposons de faire preuve de solidarité en considérant que sa demande d’asile est immédiatement recevable en France.

M. David Assouline. On est en pleine hypocrisie, car chacun sait que le système de Dublin n’est plus applicable.

À titre d’exemple, le camp du Millénaire, à Paris, comptait peut-être 80 % de Soudanais et d’Érythréens, éligibles à l’asile politique. On ne peut pas dire que leurs pays d’origine soient sûrs. Ces migrants vivaient, invisibles, sous les ponts. Quelques drames se sont produits, beaucoup moins nombreux toutefois que l’on aurait pu le craindre. Il leur aura fallu attendre des semaines avant de pouvoir bénéficier de conditions d’accueil dignes, d’un toit, de repas, d’un suivi sanitaire, en bref ne plus vivre comme des bêtes, entassés au bord de la Seine. C’est cela, la réalité ! Je me suis rendu plusieurs fois dans ce camp. Un jour, je suis tombé sur un môme de quinze ans, un Érythréen, isolé, sans parents. Heureusement que des associations étaient là pour s’occuper de lui, car sinon il aurait vécu sous les ponts, avec les autres, dans la promiscuité.

Quand ces migrants se sont enfin vu offrir un hébergement temporaire, on les a renvoyés vers l’Italie pour le dépôt de leur demande d’asile, parce qu’ils étaient entrés dans l’Union européenne par ce pays. Du point de vue de la solidarité, il n’est pas juste que certains pays doivent traiter toutes les demandes d’asile parce que, en raison de leur situation géographique, les migrants entrent dans l’Union européenne par leur territoire. Ce n’est pas possible ! Je ne sais pas comment on a pu concevoir un tel dispositif, maltraiter ainsi des pays comme la Grèce, l’Italie et, dans une moindre mesure actuellement, l’Espagne.

C’est de l’hypocrisie, mais le comble est que l’on sait très bien que ces Érythréens, ces Soudanais ne sont pas renvoyés en Italie. Ils n’ont pas d’existence, ils ne peuvent pas demander l’asile politique, alors qu’ils y ont droit. On leur dit que, s’ils veulent obtenir l’asile, ils doivent retourner en Italie, où l’on ne veut pas d’eux, encore moins depuis que le ministre de l’intérieur y prône une épuration de masse ! Ne les sacrifions pas en attendant que les négociations aboutissent. Ce n’est pas cela, la France !

Mercredi 21 juin – 2ème jour d’examen du PJL

Explication de vote sur l’amendement du groupe socialiste n°230 rectifié bis qui visait à supprimer l’alinéa 2 de l’article 8 qui prévoit que le droit au maintien sur le territoire prenne désormais fin à compter de la date de lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d’asile, et non plus à compter de la notification de la décision au demandeur.

M. David Assouline. Mes chers collègues, il faudra faire le décompte des coups de rabot, petits ou grands, qui, heure après heure, depuis le début de cette longue discussion, sont donnés à chaque possibilité, à chaque droit, par le passé pourtant largement débattu ; on ne peut pas dire, en effet, que, dans notre pays, les dispositifs n’ont pas été élaborés pour préserver à la fois la possibilité de sanction et la garantie des droits.

À toutes ces tracasseries, à tous ces coups de rabot, s’ajoute maintenant la possibilité d’expulser quelqu’un sur le champ, sans même qu’il ait reçu de notification. On fait comme si c’était normal, et cela continue…

Je vous rappelle, mes chers collègues, pour mettre en perspective nos débats, que nous parlons de personnes, souvent rescapées, qui sont dans une détresse absolue, après avoir traversé des océans. Avez-vous vu la liste, diffusée hier par un journal, des noms et prénoms des 34 000 personnes mortes en Méditerranée ? Vous avez bien entendu : 34 000 personnes. Moi, c’est cela que je regarde d’abord ! Ceux qui ont échappé à tout cela, quand ils arrivent, doivent entreprendre de nombreuses démarches ; nous ne sommes pas laxistes, vous le savez bien. Pourtant, ceux qui, de bonne foi, cherchent à faire valoir leurs droits, on leur complique la vie toujours un peu plus. Franchement, est-ce cela, la France ?

M. Karoutchi lui-même l’a reconnu, la loi de 2015, qui traitait de l’asile sans le mélanger avec l’immigration en général, a permis des améliorations en matière de délais et de capacités et d’efficacité de l’OFPRA. Mais, cette fois, ce n’est pas à raccourcir les délais ni à améliorer l’efficacité que l’on s’emploie : article après article, on ne discute que de la manière de limiter les droits des demandeurs d’asile. Et l’article 8 est l’un des plus scandaleux !


Explications sur mon vote contre l’article 8. Adopté par le Sénat.

M. David Assouline. Cet article, je le répète, est l’un des plus scandaleux du projet de loi.

Il est utile que nous continuions d’échanger sur ces questions, car les analyses de fond exposées par certains orateurs éclairent beaucoup les appréciations portées sur tel ou tel amendement.

Nous construirions la loi parce que certains veulent y échapper. Telle est l’analyse de M. Karoutchi, s’agissant notamment de la notification : un demandeur de mauvaise foi, dit-il, se sachant non éligible à l’asile, n’attendra pas la notification tranquillement chez lui.

Toutefois, pour cette personne, qu’est-ce que le nouveau dispositif changera concrètement ? Parce que le caractère irrégulier de sa situation sur le territoire sera proclamé plus tôt, ce demandeur, qui s’attend à cette décision, ne tentera pas d’y échapper ? En réalité, pour lui, cela ne changera absolument rien ! En revanche, ceux, de bonne foi, qui attendent la notification – c’est là le sujet de notre discussion –, ceux qui, dans le cadre de la procédure normale, pouvaient exercer leurs droits jusqu’au bout seront, eux, en difficulté !

Toute la construction des rabots sur les droits existants opérés par ce projet de loi vise, prétendument, à empêcher un appel d’air, à prévenir les fraudes et les contournements. Mais, toutes les lois, il y a des gens qui veulent les contourner ! Nous avons à faire des lois avec des droits, pour que ceux qui doivent pouvoir exercer leurs droits aient tous les moyens de le faire.

Chaque fois, ce sont eux que l’on atteint, eux qui subiront plus de tracasseries et de difficultés. Les autres, de toute façon, s’émancipent des règles et ont tous les moyens de le faire ; ce ne sont pas les rabots prévus dans le projet de loi qui les en empêcheront.

Intervention suite aux propos choquants et aux théories nauséabondes de « grand remplacement » du sénateur d’extrême-droite Stéphane Ravier :

M. David Assouline. L’intervention de M. Ravier devrait au moins servir de sonnette d’alarme et nous faire sortir de la logique et de l’état de tétanie dans lequel nous nous trouvons. Cela fait tout de même plusieurs décennies que le Front national explique, avec une certaine cohérence, que le problème, c’est l’immigration, parce que celle-ci créerait une souffrance insupportable chez les Français. Le problème, ce ne serait pas les insuffisances d’une politique ne permettant pas aux Français d’accéder à l’emploi ou à un logement décent, de vivre en harmonie les uns avec les autres et dans un bien-être qui ne leur ferait pas chercher ailleurs les raisons de leur malheur. Après tout, c’est vieux comme le monde : le problème, c’est l’autre ! L’extrême droite le dit et le matraque.

À une certaine époque, nous avons connu une forte résistance à ce discours, qui dépassait les frontières de tel ou tel parti politique. Ce n’était pas une problématique de gauche, c’était l’affaire de l’ensemble des républicains. Dans cet hémicycle, en particulier, c’était un autre discours que l’on entendait sur l’ensemble des travées. On défendait une autre logique, consistant à dire que l’immigration n’était pas le problème.

M. Ravier parle de grand remplacement, mais j’ai entendu d’autres intervenants, qui ne sont pourtant pas membres du Front national, parler de « submersion » ! Et j’entends la même chose depuis plusieurs heures et le début de nos débats : il faudrait prendre garde, car, si on laisse les choses en l’état, la situation deviendra tellement insupportable que les Français iront vers les thèses du Front national. Mais non ! Voyez, chers collègues, nous avons durci les lois en matière d’immigration sous Nicolas Sarkozy. Les textes ont été durcis sans arrêt – tous les deux ans. Est-ce que, pour autant, le Front national a baissé ? Non, cela leur a donné raison !

Cela a eu pour effet de faire croire à l’opinion publique que l’immigration était le problème !

Or la souffrance des Français n’est pas celle-là ! Nous sommes 66 millions d’habitants. Si l’accueil des demandeurs d’asile était organisé et planifié dans la dignité grâce à des projets d’intégration répartis sur l’ensemble du territoire, assurant son maillage, que ce soit dans les campagnes ou les villes, dans les villes moyennes comme les grandes villes, la situation serait acceptable !

Présentation de mon amendement n°403.
Avis défavorables de la commission et du gouvernement.

M. David Assouline. Cet amendement vise à établir un principe d’accueil digne pour l’ensemble des migrants, sans distinction de situation : réfugiés, « dublinés », demandeurs d’asile. Cette mesure est inspirée du dispositif concret qui a été mis en place par la mairie de Paris, à la porte de la Chapelle notamment.

Les centres de premier accueil offrent un hébergement aux étrangers en situation irrégulière, quelle que soit cette situation. Des services d’accompagnement juridique seront mis en place afin de faciliter le dépôt d’une demande d’asile pour ceux qui en ont exprimé la volonté.

Il s’agit de travailler à la création de structures dédiées, dont la conception se ferait en relation avec l’État, comme beaucoup de maires l’ont demandé, notamment le maire de Bordeaux, la maire de Paris et d’autres maires de villes françaises d’importance.

La situation que l’on a vue se répéter sous les ponts de la porte de la Villette n’est pas acceptable. On a attendu, deux mois, trois mois, pour finir par installer les migrants dans des gymnases disséminés ici et là, remplissant la fonction exacte qui serait celle de ces centres dont je vous propose de prévoir la création par la loi, au lieu de n’agir qu’en urgence et en catastrophe. Il y a absolument besoin de lieux d’hébergement où les migrants puissent concrètement entamer leurs démarches. C’est nécessaire !

On le voit notamment à propos des « dublinés », phénomène auquel vous n’avez pas voulu qu’on apporte de réponse voilà quelques instants. Lorsque 600 Soudanais ou Érythréens, qui ont droit à l’asile politique, sont en France en situation irrégulière parce qu’ils sont passés par l’Italie, on fait semblant de ne pas les voir. Or on pourrait, de façon digne, leur accorder ce premier accueil, tout en traitant leurs demandes de façon individuelle, et non pas collective, contrairement à ce qui nous a été opposé. Ils pourraient ainsi avoir accès à leurs droits.

Pour Paris, c’est important – on voit bien l’importance de ce qui s’y passe, à chaque fois que cela se passe. Il faut cesser de traiter ces situations dans l’urgence ; toutes les villes d’importance demandent des centres d’hébergement de premier accueil.

Le rapporteur dit qu’il existe déjà des Centre d’Accueil et d’Examen des Situations (CAES). Non ! On voit bien qu’ils ne remplissent pas cette fonction.

Mon amendement traite d’abord du premier accueil ; il s’agit, ensuite, qu’un travail puisse être effectué, dans des conditions dignes et humaines, pour diriger les migrants vers les différents centres existants. Or, je le répète, lorsque 600 Érythréens, qui savent qu’ils ont toute légitimité à obtenir l’asile politique, savent aussi qu’ils sont en situation irrégulière du point de vue de Dublin, ils se cachent, ou individuellement ou en groupe, et, en général, ils se regroupent – c’est ce qui s’est passé sous le pont de la Chapelle.

Que ce premier accueil puisse se faire sous les ponts, c’est une indignité pour un pays comme le nôtre – ceux qui ont été voir le savent : huit semaines, les pluies, les inondations, en bord de Seine, deux noyés, la promiscuité totale, les risques d’épidémies, des gosses mélangés à tout ça !

Nous voulons simplement que des centres soient dédiés à cet accueil, aux premiers soins, au nom de la dignité, afin que les demandes d’asile puissent être faites, avec l’aide des associations, et afin que les demandeurs puissent ensuite être dirigés vers les dispositifs déjà existants.

Au lieu d’organiser cet accueil au coup par coup, parce qu’on y est obligé, par le biais de gymnases notamment, comme cela s’est toujours passé, nous demandons qu’une politique soit définie et que les communes aient la légitimité, par la loi, de pouvoir mettre en place ledit accueil. Beaucoup de communes le demandent ; elles veulent prendre des responsabilités. Que la loi leur donne cette possibilité !

Prise de parole sur l’article 10 du PJL qui supprime l’aide médicale de l’État, l’AME, pour la remplacer par une aide d’urgence. C’est une atteinte aux acquis sociaux, aux droits des étrangères et des étrangers malades.

M. David Assouline. Est-il bon pour la France de créer une aide médicale d’urgence, plus difficile d’accès, parce qu’elle est destinée à des immigrés ? Non seulement ces personnes malades peuvent être contagieuses ; mais la France n’a-t-elle pas le devoir de soigner une personne malade, quelle que soit sa situation ?

Nous avons déjà eu ce débat, et les élus du groupe socialiste se sont prononcés contre l’aide médicale d’urgence. Quant au gouvernement socialiste, il a en 2012 supprimé le droit de timbre (30€) qui était demandé pour accéder à l’aide médicale d’état.

Pour ces raisons, et dans la continuité de nos combats, nous nous opposons à l’aide médicale d’urgence, dans cet hémicycle, encore aujourd’hui.

Intervention suite à l’amendement de la droite visant à inscrire dans la loi l’interdiction pour les personnes disposant de l’aide médicale d’état de disposer de la tarification sociale dans les transports en commun.

M. David Assouline. Pour justifier cet amendement Monsieur Karoutchi déclare que cette prestation serait offerte aux étrangers en situation irrégulière au détriment d’autres catégories. Pourtant, cette tarification sociale n’est pas proposée au détriment des Français qui y auraient droit et l’économie qui serait réalisée par la région si votre proposition était adoptée ne serait pas reversée à des catégories de population qui n’y auraient pas droit aujourd’hui. « Au détriment » n’est donc pas la juste expression.

Le transport, c’est vital, y compris pour quelqu’un qui est en situation irrégulière, d’abord pour aller à la préfecture remplir un dossier de régularisation, mais aussi pour se soigner ou pour faire soigner ses enfants.

Ce ne sont pas ceux qui n’ont pas de papiers qui vivent le mieux dans ce pays ! Il ne nous semble pas souhaitable de rendre toujours la vie plus difficile, même dans ses dimensions les plus quotidiennes, à ceux dont la situation est déjà exécrable.

Nous nous opposons donc à ce qu’une mesure retoquée par le tribunal administratif soit inscrite dans la loi uniquement pour valider une décision de Valérie Pécresse, décision qui, au demeurant, n’a été mise en place dans aucune autre région, en particulier pas dans celles que la droite dirige.

Explication de vote sur un amendement du groupe socialiste visant à supprimer la possibilité de maintenir des mineurs accompagnant leur famille en zone d’attente.

M. David Assouline. Le sujet dont nous discutons est essentiel et, en même temps, très symbolique. Le débat se poursuivra d’ailleurs dans quelques instants avec les zones de rétention.

Pour le moment, nous discutons des zones d’attente. Très franchement, la question des enfants, des mineurs, qu’ils soient isolés ou non, devrait faire consensus dans une enceinte républicaine ! Je dis bien une « enceinte républicaine ».

Je répète que je suis très étonné des propos que j’entends. Nous avons eu par le passé d’autres débats sur l’immigration : lors de dérapages sur les valeurs républicaines, même sur les travées de droite, on faisait front. Je me souviens que nous nous étions soulevés contre les tests ADN et que le Sénat avait finalement rejeté cette disposition. C’est le Sénat qui, à l’époque, avait rendu son honneur à notre pays ! Pourtant, la mesure venait d’un gouvernement de droite, mais c’est ici que l’on a réagi, parce que l’on touchait à des choses essentielles, à des valeurs humaines.

Comment peut-on envisager d’enfermer un enfant, avec des gardes à l’entrée ? Il n’a commis aucune faute, l’enfant ! Arrêtez avec votre inhumanité cynique !

D’ailleurs, en France, même pour les enfants qui commettent des fautes, on a quelques égards, justement parce qu’ils sont des enfants !

Là, nous touchons le fond. Oui, nous touchons le fond ! Nous avons toujours eu des désaccords sur les questions liées à l’immigration. Mais très franchement, mes chers collègues, pensez-vous sérieusement que cela grandisse l’image de la France ?

Tous ces jeunes qui traversent les montagnes, les mers… J’ai encore vu récemment un reportage sur un bateau en train de dériver, qui a justement été sauvé par les associations, dont l’Aquarius. À la fin, le bateau coule et on voit un enfant flotter à la surface. Alors, risquant leur vie, des personnels associatifs vont le sauver.

Ce sont des enfants ! On risque sa vie pour eux ! C’est ce que l’on nous a appris ! Alors, arrêtez ! N’en rajoutez pas !

On n’enferme pas un enfant ; il en aura des séquelles toute la vie !

Jeudi 22 juin – 3ème jour d’examen du PJL

Explication de vote sur l’article 16

M. David Assouline. Mes chers collègues, cet article est tout à fait important, et il confirme ce que nous avons essayé de démontrer tout au long de nos travaux : ce projet de loi cherche, tantôt à durcir les dispositions en vigueur, tantôt à afficher des durcissements qui n’ont absolument aucun effet.

Tâchons d’être pragmatiques, et voyons de plus près ce dont on parle. Pour avoir régulièrement visité des centres de rétention administrative, nous savons que le constat est toujours le même. À l’heure actuelle, le temps moyen de placement au sein des CRA s’établit à 12,7 jours. Au total, moins de 4 % des personnes concernées y restent jusqu’au terme des 45 jours ; et, en définitive, ces personnes sont libérées quoi qu’il en soit !

Ce sujet a été évoqué plusieurs fois par le Gouvernement : le problème, ce sont les accords avec les gouvernements étrangers en vertu desquels les consulats autorisent le rapatriement de ces personnes.

Tous les professionnels sur le terrain nous le disent : au-delà de 7 jours, 12 jours au maximum, si le retour n’a pas eu lieu, le maintien en rétention est un pur affichage. On sait très bien que, en définitive, il faudra faire sortir ces personnes des centres de rétention administrative. Certains peuvent dénoncer cette réalité, dire qu’il s’agit d’un scandale, mais c’est un fait.

Ainsi, cet affichage de 90 jours ne renvoie à aucune réalité. Le seul effet de cette mesure sera de faire « souffrir » davantage les 4 % de personnes qui atteignent 45 jours, et qui devront attendre 45 jours de plus avant d’être relâchées.

J’ajoute que la rétention administrative n’est pas une incarcération. Dès lors, comment justifier un tel traitement ? S’il s’agissait de délinquants condamnés, cet allongement ne poserait pas problème, mais tel n’est pas le cas.

À l’origine, les centres de rétention ont été créés pour mettre un terme aux camps sauvages qui existaient, notamment, à Marseille. Il fallait raccompagner les personnes concernées en dehors de toute réglementation, et, dans l’intervalle, on ne disposait pas d’un cadre permettant de les garder.

Pour désidéologiser la discussion sur la durée, je souhaite rappeler à notre assemblée la mémoire de ses propres débats, car ce n’est pas la première fois que nous abordons ce sujet.

Alors que nous débattions de la loi Hortefeux-Besson, le Gouvernement avait proposé de faire passer la durée de rétention de 32 jours à 45 jours. Nous avions alors évoqué un rapport d’information du député Thierry Mariani, publié en 2009, affirmant qu’une augmentation au-delà de 32 jours de la durée de rétention n’était pas nécessaire. « La mission d’information, ajoutait-il, estime que la durée maximum actuelle de 32 jours est suffisante et ne devra pas être augmentée lorsque la directive sera transposée en droit français. » Le Gouvernement faisait déjà valoir le fait que la directive autorisait une durée maximale de 6 mois et évoquait la nécessité d’une harmonisation européenne vers une durée plus longue. C’est encore le cas aujourd’hui, le Gouvernement tirant argument des normes européennes pour aller jusqu’à 90 jours. Pourtant, le rapport de M. Mariani est très clair : « Certes, dans de nombreux cas, il n’est pas possible d’organiser l’éloignement au cours de cette période, notamment à cause de la difficulté à obtenir les laissez-passer consulaires, mais une augmentation de la durée de rétention ne permettrait probablement pas d’améliorer nettement le taux d’éloignement des étrangers placés en rétention. » Il recommandait donc de « maintenir la durée maximale de rétention à 32 jours ». C’était le débat à l’époque. Chacun était alors dans la prospective. M. Mariani affirmait que si l’objectif était de favoriser l’éloignement, une augmentation de la durée de rétention ne permettrait probablement pas de l’atteindre. Il n’avait alors pas de certitude. Depuis lors, on a mis en application un délai de 45 jours, après la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dite loi Hortefeux-Besson. Nous sommes en 2018, et le taux d’éloignement n’a pas augmenté. Le passage de 32 à 45 jours n’a donc pas eu l’effet attendu, mais le Gouvernement ose nous dire aujourd’hui qu’il faut passer à 90 jours. Qu’est-ce que cela veut dire ? À qui vous adressez-vous ainsi ? Vous pensez parler à ceux qui seront contents de vous voir agiter ce chiffon rouge et dont vous espérez qu’ils se félicitent de votre fermeté, mais, en réalité, vous effrayez tout le monde ! Ceux qui sont dans ces centres, notamment les policiers, ont déjà du mal à gérer la situation actuelle. Ils appréhendent de devoir garder plus longtemps la très faible proportion de retenus qu’ils gardaient 45 jours et qu’ils finissent par relâcher dans un état lamentable. Dans quel état seront ceux qu’on libérera après 90 jours de rétention ?

Nous discutons des textes, mais le fait d’aller dans des centres de rétention nous permet d’être au plus près de la réalité et d’en faire part au Gouvernement qui peut tenir compte de nos remarques.

Lors de ma dernière visite dans un CRA en février, j’ai été confronté à deux sujets de ce type.

Le premier illustre ce que vient de dire M. Jomier : non seulement on ne dépiste pas systématiquement les pathologies existantes au moyen d’une visite médicale lors de l’admission dans le CRA, mais lorsqu’une pathologie est constatée, ce n’est plus le CRA, mais l’OFII, qui prend la décision de faire hospitaliser ou de faire sortir la personne du centre pour lui permettre de recevoir un traitement. Or l’OFII étant engorgé, il répond parfois un peu tard par rapport au problème, qui, dans certains cas, est un problème médical strict.

J’ai ainsi été confronté au cas d’une personne en situation irrégulière qui, parce qu’elle a été arrêtée, n’a pas pu se rendre à une convocation pour une intervention chirurgicale. Le temps qu’on la laisse sortir, il était déjà trop tard.

Le deuxième cas auquel j’ai été confronté constituait une menace pour la sécurité du centre. En saluant les retenus comme je le fais quand j’entre dans un centre, je remarque, alors que je serre la main de l’un d’entre eux, que l’on me fait les gros yeux. Certains viennent alors me confier que la personne que je viens de saluer est dangereuse, qu’ils en ont peur et qu’ils n’en peuvent plus. Cet individu souffrait d’une pathologie psychique lourde signalée et était à l’origine de plusieurs incidents.

Il fallait pour qu’il sorte du centre et soit placé au sein d’une unité psychiatrique qu’une décision soit prise par l’OFII. Or la décision n’arrivait pas, et chaque heure qui passait, cette personne était avec les autres retenus, y compris dans les dortoirs.

Il y a donc un vrai problème, qui explique d’ailleurs notre souci de ne pas rallonger les délais de rétention dans ces centres où des profils socio-médicaux très différents se côtoient dans une promiscuité absolue. Il ne nous semble pas opportun de prolonger ces situations inextricables pendant 90 jours.

Présentation de mon amendement n°406 visant à revenir sur la durée du placement en rétention : celle-ci n’a cessée d’augmenter au point d’atteindre 45 jours, contre 32 précédemment :

M. David Assouline. Cet amendement vise à mettre le holà à la course à l’échalote et à changer de logique.

Le projet de loi que nous examinons prévoit de rallonger le délai de rétention à 90 jours. La logique veut que l’opposition, qui est contre cette disposition, propose de maintenir la législation existante.

Or si nous continuons à allonger le délai de rétention sans qu’il y ait aucun gain en termes de taux d’éloignement, c’est parce qu’après nous y être opposés, nous finissons par accepter l’allongement du délai.

Je regrette vraiment que, nous étant opposés au passage à 45 jours au moment de la loi Hortefeux, nous n’ayons pas eu le courage, sous le précédent gouvernement, de revenir à un délai de 32 jours. La conséquence en est que le débat porte maintenant sur un allongement du délai à 90 jours.

Comme je l’ai dit quand vous n’étiez pas encore en séance, monsieur le ministre d’État, le passage de 32 à 45 jours n’a pas permis d’augmenter le taux d’éloignement. La durée moyenne de rétention est de 12,7 jours, et seulement 4 % à 5 % des retenus sont effectivement retenus 45 jours, au bout desquels nous sommes de toute façon obligés de les laisser partir.

Et en termes de moyens d’encadrement et de capacités, comme en termes d’efficacité, c’est une mesure qui ne rime à rien. C’est une mesure d’affichage, dans une société où le Front national donne le ton et demande toujours plus. On ne sait pas jusqu’où il veut aller, mais on ne cesse de se rapprocher de ses exigences, même quand il n’y a aucune raison de le faire, car je répète que la démonstration de l’efficacité de cette mesure n’a pas été faite.

Quand on va sur le terrain et que l’on voit dans quelles conditions les personnes sont retenues, on se dit que c’est du masochisme. En tout cas, ce n’est bon pour personne, ni pour les retenus, ni pour l’administration, ni pour la société !

Réponse suite à l’avis défavorable donné par le gouvernement à cet amendement :

M. David Assouline. Il me semble que nous devons partir des mêmes données si nous voulons avancer dans le débat.

Monsieur le ministre d’État, vous nous dites qu’il ressort de vos échanges avec les chancelleries que l’allongement du délai de rétention permettrait des retours plus nombreux des consulats, et donc plus d’éloignements. C’est la raison, nous dites-vous, de l’allongement de la durée de rétention à 90 jours.

Les associations qui sont sur le terrain nous disent que la durée moyenne de rétention est de 12,7 jours. Si ce chiffre est faux, pourriez-vous nous donner le vôtre avec l’appui des services qui vous entourent ? Je rappelle que la durée maximale est aujourd’hui de 45 jours, et que vous demandez son allongement à 90 jours.

Par ailleurs, les associations affirment qu’une personne qui n’a pas reçu de réponse positive du consulat au bout de 8 jours n’en recevra pas – 8 jours, alors que vous demandez une durée de 90 jours !

Si ces chiffres sont faux, pourriez-vous nous donner les vôtres ? Aujourd’hui, rien ne prouve qu’en allongeant le délai à 90 jours il y aura plus de retours des consulats.

Le problème n’est d’ailleurs pas le manque de rapidité des consulats, mais leur manque de volonté. Nous savons que le Maroc traîne, et si nous ne nous énervons pas, c’est parce que nous lui demandons autre chose.

Les discussions que vous menez avec les gouvernements des pays concernés nous permettront de négocier des accords, mais leur efficacité ne dépend pas du délai de rétention. L’allongement de ce délai à 90 jours est une mesure négative et inefficace. Je maintiens que c’est de l’affichage, à moins que vous ne soyez en mesure de produire d’autres chiffres susceptibles de me faire changer d’avis.

Présentation de mon amendement n°373 visant à établir qu’au-delà de quatre heures de garde vue des explications soient apportées au procureur de la République quant aux raisons de cette privation de liberté anormalement longue :

M. David Assouline. Tirant les conséquences de la jurisprudence européenne et des décisions de la première chambre civile de la Cour de cassation, la loi du 31 décembre 2012 a supprimé le délit de séjour irrégulier et créé, en lieu et place de la garde à vue, une retenue aux fins de vérification du droit de séjour.

Considérant que la procédure de vérification d’identité prévue à l’article 78-3 du code de procédure pénale, laquelle ne peut excéder quatre heures, était insuffisante pour la vérification du droit de circulation et de séjour, le législateur a décidé de créer un régime privatif de liberté spécifiquement dédié aux étrangers, d’une durée maximale de seize heures – le texte prévoit de l’allonger à vingt-quatre heures. Cette durée permettait d’assurer « un équilibre entre les droits de la personne retenue, tant au regard de la privation de liberté que de la défense de ses intérêts, et les exigences qui s’imposent à l’autorité administrative ».

Partant du principe que ce délai est actuellement excessif, il est essentiel que, au-delà de quatre heures, durée maximale de la garde à vue, des explications soient apportées au procureur de la République quant aux raisons de cette privation de liberté anormalement longue. Dans un régime démocratique, il est tout à fait normal que le procureur de la République puisse obtenir de telles explications en cas de dépassement de cette durée de droit commun.

Mes chers collègues, j’étais très heureux en constatant que la commission avait enfin émis un avis favorable sur l’un de mes amendements. Je me suis dit qu’après tout il était dans la nature du rapporteur, M. Buffet, d’être attentif aux questions de droits et de ne pas laisser faire n’importe quoi. Or j’apprends à l’instant qu’il s’agit peut-être d’une faute de frappe …