SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Séance publique le 02 décembre 2010
Mission Médias, livre et industries culturelles
Compte spécial : Avances à l’audiovisuel public

En tant que rapporteur pour avis – budget d’aide à la presse – de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans sa version initiale, le projet de loi de finances pour 2011 proposait de regrouper au sein du programme 180 les crédits consacrés à la presse, au livre et aux industries culturelles. Face à cette nouvelle maquette budgétaire pour le moins incongrue, nos collègues de l’Assemblée nationale ont décidé, à juste titre, de scinder ce programme en trois nouveaux programmes distinguant clairement les moyens consentis à la presse, au livre et à la lecture, aux industries culturelles. Je partage leur analyse, car la proposition du Gouvernement me paraissait nuire considérablement à la lisibilité de la dépense publique, dès lors que ces politiques publiques poursuivent des objectifs distincts.

Les moyens du plan de soutien exceptionnel de l’État en faveur de la presse sont maintenus en 2011. Le montant total des crédits consentis au secteur de la presse s’établissent, dans le projet de loi de finances pour 2011, à 420 millions d’euros en crédits de paiement, dont 115 millions d’euros seront affectés aux abonnements de l’État à l’AFP et 305 millions d’euros seront dédiés aux aides à la presse. Derrière l’affichage d’une politique publique généreuse et bienveillante à l’endroit de la presse, je ne peux que constater l’indigence consternante de l’effort en termes de cohérence stratégique, qui nuit considérablement à l’efficacité des aides publiques accordées à la presse.

Il est trop aisé de prétendre accorder 12 millions d’euros au renforcement du pluralisme de la presse, alors que la presse quotidienne d’information politique et générale, en particulier locale, se caractérise par un degré de concentration sans précédent. En réalité, rien n’est véritablement fait pour préserver la diversité et l’indépendance des rédactions face à la fusion croissante des titres et aux regroupements capitalistiques dans la presse quotidienne régionale. Toute initiative parlementaire qui s’inscrit dans le sens d’une limitation de la concentration dans le secteur des médias est balayée sans autre forme de procès par le Gouvernement et sa majorité, au seul motif qu’elle émane de l’opposition. La rationalité et la réalité sur le terrain dans les départements devraient nous conduire à réfléchir un peu plus sérieusement à ce phénomène d’uniformisation de l’information sur l’ensemble de notre territoire.

Le simple fait de proposer la reconnaissance juridique des rédactions, à l’Assemblée nationale, est injustement perçu comme un brûlot révolutionnaire susceptible de semer l’anarchie au sein des titres de presse. Il y a pourtant des questions fondamentales concernant la liberté, l’indépendance et le pluralisme de la presse que l’injection de millions d’euros ne saurait résoudre à elle seule.

Je retire du rapport de M. Cardoso sur La gouvernance des aides publiques à la presse trois idées clés qui me semblent devoir faire l’objet d’un examen plus approfondi pour améliorer l’efficacité du système.

Première idée : conditionner l’octroi des aides à la conclusion d’une convention entre l’État et l’entreprise de presse sur la base d’une stratégie globale de redressement assortie d’engagements évaluables. À mon sens, une démarche accrue de contractualisation devrait mettre l’accent sur les investissements structurels et d’avenir, en favorisant l’innovation et la formation, et sur la mise en place d’indicateurs pertinents et régulièrement réactualisés.

Deuxième idée : créer un fonds stratégique pluriannuel en faveur de la presse d’information politique et générale qui regrouperait l’ensemble des aides à l’éditeur et qui serait consacré à la restructuration du secteur de l’édition de la presse dans ses versions papier et numérique. Je vois là une proposition ambitieuse qui permettrait de réintroduire une cohérence d’ensemble dans la gestion des aides à l’éditeur jusqu’ici éparpillées et parfois même contradictoires. Néanmoins, je note que M. Cardoso chiffre le montant idéal de ce fonds à 900 millions d’euros sur cinq ans pour la période 2011-2016. Je m’interroge sur la volonté réelle du Gouvernement de sanctuariser un tel effort sur la période considérée vu les normes de réduction drastiques qui sont appliquées à l’ensemble des administrations. Quels engagements pouvez-vous prendre à ce sujet ?

Troisième idée : renforcer les mécanismes de contrôle et d’évaluation en mettant l’accent sur la vérité des coûts. Selon moi, ces mécanismes n’auront de sens que si votre ministère se dote d’une structure indépendante pour les mettre en œuvre en faisant appel, le cas échéant, à des fonctionnaires de l’inspection générale des finances et des magistrats de la Cour des comptes. Quels sont les efforts que vous comptez mettre en œuvre en ce sens, monsieur le ministre ?

Il y a, cependant, et je conclurai là-dessus, des sujets sur lesquels nous pouvons avancer ensemble si nous prenons la peine de partir d’un diagnostic honnête et rigoureux.

En matière de distribution de la presse, tout d’abord, l’ensemble des acteurs appelle au renforcement de la capacité d’autorégulation du secteur. Cela suppose effectivement de transformer le Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, en une véritable instance professionnelle dotée de la personnalité morale et d’un pouvoir normatif d’autorégulation du secteur et, en contrepartie, de créer une autorité de régulation de la distribution de la presse appelée à régler les différends que le CSMP ne serait pas parvenu à résoudre.

Néanmoins, à mon sens, cette capacité d’autorégulation ne doit pas autoriser le secteur de la distribution à contourner les principes fondamentaux de la loi Bichet, en particulier l’égalité de traitement entre les titres de presse. J’appelle donc les pouvoirs publics à la plus grande vigilance quant aux conditions de pérennisation de certaines dérogations, telles que le plafonnement des quantités et l’assortiment des titres servis aux points de vente.

Enfin, pour ce qui concerne l’AFP, là aussi il faut entreprendre une démarche constructive, tout en respectant cependant certains fondamentaux.

Il est inenvisageable de modifier les articles 1er, 2 et 14 du statut de 1957, fondements de l’indépendance et de l’identité, je dirais même de l’ADN, de l’Agence. Nous pouvons donc nous féliciter que l’actuel PDG ait écarté la transformation de l’AFP en une société dotée d’un capital.

Deux principes directeurs doivent guider notre réflexion : d’une part, la modernisation de la gouvernance, pour réunir les conditions d’un développement optimal de l’Agence, et, d’autre part, la consécration des missions d’intérêt général de l’AFP, pour justifier aux yeux du droit communautaire le versement d’une compensation financière par l’État qui s’élève, dans le projet de loi de finances pour 2011, à 115 millions d’euros. Là encore, les principes d’indépendance et de pluralisme de l’information doivent impérativement présider à toute modification du statut de 1957. Le travail et la concertation avancent, et la commission de la culture essaiera de trouver un consensus sur ce sujet au cours des prochaines semaines.

Bien que je ne sois pas favorable, à titre personnel, à l’adoption des crédits consentis à la presse au sein du programme 180, je dois vous recommander, au nom de la commission de la culture, d’émettre un vote favorable.